Virginie Derensy
Prostitution : l'hypocrisie en actes



Membre de la CNT Lille
Ce texte est initialement paru dans Le Combat Syndicaliste, N° 249



« Vous couchez avec nous, vous votez contre nous ! »


C'est sans doute le slogan qui révèle le mieux l'hypocrisie du gouvernement Sarkozy... euh Raffarin, lors de la manifestation des prostituées qui s'est tenue à Paris devant le Sénat le mardi 5 novembre.

Le premier constat en approchant du rassemblement, c'est qu'il y avait autant de prostituées que de journalistes et de curieux. En six ans de militantisme, je n'ai jamais vu autant de caméras, d'appareils photos, de micros, de blocs-notes. Des médias français ou étrangers, des soutiens (Act Up, CNT, Verts, LCR, diverses associations) mais aussi des curieux (des hommes, des femmes, des couples, des jeunes, des vieux, des bourges, des paumés, des touristes, des lycéens... tous venus « voir les putes » et mater !)

Entre 200 et 300 personnes prostituées ont eu le courage de crier (devant des CRS dodelinant et gloussant comme des collégiens) leur colère face au projet de loi du Fou de la matraque, sans mauvais jeu de mot, qui criminalise les prostituées d'en bas. Dans sa logique d'exclusion, le ministre de l'intérieur entend ainsi « nettoyer » les rues de tout ce que les bonnes gens ne sauraient voir, mais ne parle en aucun cas de lutter contre le proxénétisme, ni de traquer les prostituées d'en haut (celles qui pratiquent via internet, certains bars et boîtes de nuit, celles qui sont dans le carnet d'adresses des chefs d'entreprise et des politiciens en toute discrétion ne sont pas visées...). Si ce projet de loi devait être adopté, cela signifierait des conditions de travail encore plus contraignantes pour les personnes prostituées : moins visibles, elles s'exposent davantage à l'exclusion, à la clandestinité, à la violence et aux réseau mafieux.


 

C'est combien ?


Au petit matin glauque, dans le froid, des êtres humains sont alignés le long du trottoir d'une zone commerciale de banlieue. Des véhicules s'arrêtent, les conducteurs baissent la glace, se penchent, parlent argent. Combien ? Trente euros ? Quarante ?

Si l'affaire se conclut, c'est un type aux mains alleuses qui monte dans la voiture. A la main, il a un sac plastique où il a fouré sa truelle ou son fil à plomb.

Cette prostitution-là, c'est celle à laquelle sont soumis les sans-papiers. elle ne se déroule pas à des milliers de kilomètres d'ici, mais partout, à proximité des magasins et entrepôts du bâtiment.

Ces réseaux-là sont bien connus. Ils concernent un patronat avide qui se moque de l'accident du travail et de ses conséquences, qui utilise une main-d'œuvre dépossédée de tous ses droits pour accroître ses bénéfices et exercer une pression à la baisse sur les salaires de tous les salariés du bâtiment.

Pour rendre un peu de dignité à ces travailleurs et démanteler les réseaux qui les surexploitent, il suffirait d'une mesure toute simple : leur donner des papiers. Mais c'est vrai que Sarkozy est très occupé...

Or de nombreuses prostituées, jusqu'ici indépendantes de tout maquereau (hormis l'État), craignent de ne plus pouvoir exercer leur profession. Et s'il faut bien évidemment combattre le proxénétisme, accompagner les prostituées qui souhaitent abandonner ce travail et leur proposer des alternatives, on ne saurait accepter l'idée selon laquelle une prostituée ne peut en aucun cas vouloir l'exercer.

Trop de personnes, d'associations, ont une vision unilatérale de la prostitution, et ne peuvent avoir d'autre représentation de la personne prostituée que celle d'une misérable victime à plaindre ou à reconvertir de gré ou de force. Certes, pour beaucoup, la prostitution n'est pas un choix, elle est le produit de la misère économique et sociale et d'une société sexiste.

Toutefois, il est des femmes (et des hommes !) qui décident de vendre des services sexuels, d'être libres de choisir quand travailler, avec qui, à quel prix, de ne pas avoir de patron ou de collègues emmerdeurs, de ne pas devoir rendre de compte. Il est des hommes et des femmes qui préfèrent travailler quand bon leur semble plutôt que de trimer 8 ou 10 heures par jour pour un salaire de misère, de subir la pression, les brimades des petits et des grands chefs, les cancans des collègues de bureau et d'avoir des comptes à rendre. une prostituée âgée de 60 ans, travaillant dans un camping-car près de Marseille explique que dans sa jeunesse, elle travaillait à l'usine ; régulièrement elle était contrainte de coucher avec le directeur, le sous-directeur, le contremaître ou autre, sans quoi chaque minute de retard lui causait une perte de salaire d'une heure. Un jour, elle a décidé de travailler pour elle, de coucher avec des clients et de garder l'argent qu'elle gagnait ainsi pour elle  (« Tam-tam », France Inter, le 14/11/02). Le corps n'est pas une marchandise, répliquera-t-on... Oui, mais l'âme, alors ? Quand on subit le harcèlement, l'humiliation, quand on n'aime pas son travail, quand on va bosser la mort dans l'âme en échange d'un salaire, c'est mieux peut-être ?

N'en déplaise à certains êtres bien-pensants ou certaines féministes, les prostituées présentes à la manifestation se considèrent comme des professionnelles, et le revendiquent haut et fort : « Prostituée, c'est un métier, nous voulons l'exercer », pouvait-on lire sur une banderole. Leur réaction au projet de loi sur la « sécurité intérieure » est la même que celle de n'importe quel employé dont les conditions de travail ou l'emploi sont menacés.

Le projet de loi Sarkozy aura pour conséquence de rendre les prostituées plus vulnérables. Obligées de s'éloigner des centres urbains et de s'isoler pour ne pas être accusées de racolage passif, elles seront plus exposées aux agressions et à la mainmise des proxénètes. Elles seront également marginalisées, et il sera alors bien plus difficile pour les travailleurs sociaux d'accomplir leur mission d'aide et de prévention (distribution de préservatifs, information, soutien, etc.)

Enfin, si ces femmes et ces hommes, qui sont pour bon nombre d'entre eux aussi des parents, ne peuvent plus travailler, le seul horizon qui leur est offert, c'est l'ANPE, la DDASS ou la prison... c'est pas grave, paraît qu'on recrute dans l'administration pénitentiaire, voilà une super reconversion !

Au-delà des conséquences sur les personnes prostituées, le projet de loi liberticide – approuvé, rappelons-le par 70% des français – implique quelques précautions pour Madame-tout-le-monde. Car le seul fait d'être vêtue d'une tenue jugée « provocatrice » ou d'attendre le bus le soir pourrait lui valoir 3750 euros d'amende ! aussi sera-t-il plus prudent à l'avenir de ne pas forcer sur le maquillage et les décolletés, de se renseigner sur la longueur réglementaire d'une robe ou d'une jupe lorsqu'on sort de chez soi, et de fuir le regards des automobilistes lorsqu'on attend le bus...



Virginie Derensy