Monica Jornet
Le Chili à l'heure de la révolte


Trois articles parus dans Le Monde Libertaire

Sources :
Premier volet
Deuxième volet
Troisième volet

Sommaire :


PREMIER VOLET VEILLE DE 8 MARS A SANTIAGO DU CHILI
EL PUEBLO UNIDO...FUNCIONA SIN PARTIDOS.
DEUXIÈME VOLET 8 MARS ¡LA REVOLUCIÓN ES FEMINISTA!
TROISIÈME VOLET LA GREVE GENERALE FEMINISTE DU 9 MARS
VERS LE REFERENDUM DU 26 AVRIL


PREMIER VOLET
VEILLE DE 8 MARS A SANTIAGO DU CHILI
EL PUEBLO UNIDO...FUNCIONA SIN PARTIDOS.



Une convergence des luttes historique et inédite s’est produite le 8 mars 2020 au Chili : les revendications contre la discrimination et les violences faites aux femmes ont convergé avec la contestation quotidienne dans la rue depuis l’Estallido social du 18 octobre. Et la campagne du référendum du 26 avril tourne autour d’une nouvelle Constitution où les femmes auraient enfin leur place et une place paritaire.

Le contexte de la Révolte sociale ou « Estallido social »


La révolte sociale ou « estallido social » a éclaté (estallar) le 18 octobre 2019 à l’annonce de la hausse du ticket de métro, une goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la colère contre pauvreté et inégalités dans un pays où les services publics se réduisent à peau de chagrin, dans la continuation du néolibéralisme mis en place par le dictateur Pinochet. Les manifestations se succèdent sans faiblir : « La calle no calla » (la rue ne se tait pas).

Le parcours des manifestations sur l’Alameda, comme est appelée la très centrale avenue Bernardo O’Higgins compte plusieurs universités (Catholique, du Chili, de Santiago) et longe le palais présidentiel de la Moneda. Les cortèges quasi quotidiens, ce sera aussi le cas les 8 et 9 mars pour la Journée Internationale des Femmes et la grève générale féministe, partent d’un point devenu emblématique, la Place Baquedano, ainsi nommée depuis 1927, du nom d’un général de la Guerre du Pacifique, mais que l’on continuait à appeler Plaza Italia jusqu’à ce que les manifestants la rebaptisent Plaza de la Dignidad : la dignité, une demande forte des femmes : « Dignidad feminista » (Dignité féministe), « La dignidad no se negocia »?» (La dignité n’est pas négociable), « Nos matan por pedir dignidad» (On nous assassine parce que nous exigeons la dignité), «Sólo la lucha nos dará la dignidad» (seule la lutte nous donnera la dignité), «¿Cuantas cuesta la dignidad ?(Combien de mortes coûte la dignité ?).

Le mouvement contestataire comptait sur la rentrée scolaire du 4 mars et sur la Journée internationale du 8 mars dans le contexte de la campagne pour le référendum du 26 avril (el plebiscito) pour un « Súper marzo » (Super mois de mars). « Marzo es de protesta » (Le mois de mars est à la contestation).


Les mesures du Gouvernement avant le 8 mars ou 8 M


Des mesures sont prises par le gouvernement dans la semaine précédant le 8 mars, d’une part mieux réprimer la manifestation et d’autre part pour essayer de désamorcer toute la Révolte sociale :


L’État en cause


Devant le Palacio de la Moneda, près de la statue d’Allende, sur la barrière bordant le périmètre de sécurité, une couronne de fleurs rend hommage à une victime de la répression de l’Estallido social. Notons que cette couronne mortuaire aurait été rapidement enlevée en France, cher pays des libertés... : « Paula Andrea Lorca Zamora, 44 ans, assassinée par l’État, Morte le 20 octobre 2019... ». Car c’est l’État qui est incriminé sur les murs de la ville pour discrimination, exploitation et violence du système capitaliste et patriarcal : « « État assassin ». « État féminicide ». « Grève générale féministe contre le terrorisme d’État ». « L’État oppresseur est un macho violeur ». Et c’est l’État la cible de la lutte : « Que tes actions au quotidien portent préjudice à l’État ». « Avorte l ‘État patriarcal ». La révolte sociale, dans laquelle s’inscrivent les journées féministes du 8 et 9 mars, est fortement politisé et même révolutionnaire : au-delà de la haine du président Piñera, dont la démission ou la tête sont demandées, on ne cherche pas à obtenir un simple changement « gouvernement », mot rare sur les murs. Ma surprise ne s’arrête pas là. Puisqu’il s’agit bien d’en finir avec l’État, l’anarchie est proclamée partout - la quasi absence de graffitis marxistes et communistes est non moins évidente sur les murs : A cerclé, slogans et principes anarchistes « Ni Dieu ni flics ». « Ni leaders ni partis. » « Acab. A », « Pas de partis. Pas de gouvernement » « État oppresseur, ni opprimés, ni oppresseuses », appels à l’action. « Les puissants n’auront pas le dernier mot. Organise-toi et passe à l’action », « L’Etat te vole, vole l’Etat », « Déobéissance », « Étendons la révolte jusqu’à l’anarchie ». Le 8 mars aura donc une forte composante anarchiste : « Pas de sigles pas de dirigeants. 8 mars de lutte ». « Pour un mois de mars subversif, anarcoféministe et dissident. Contre toute autorité ». « Nous n’abandonnerons pas les rues A ». « Vive la révolte A ».

Je rencontre un collectif de photographes féministes tandis qu’elles collent une affiche. Elles me confirment que l’anarchie est dans l’air au Chili et y voient bel et bien un phénomène récent. Je rencontre le lendemain, dans la manif, les compagnes de l’Athénée anarchiste de Santiago. Sur les murs de Santiago, un « groupe de propagande La peste noire » a collé une information « Qu’est-ce que l’anarchisme ?». A noter la position antidrogues des anarchistes : « Lucide dans le combat. Lutte sans drogues. A »


La haine de la police


La haine de la police (« Feu à la flicaille ») trouve une première explication très directe, la répression des manifestations et les viols de manifestantes. Depuis le 18 octobre, on dénombre plus de 40 assassinats, l’Institut National des Droits Humains INDH recense 3765 blessés dont 445 lésions oculaires, 271 blessures à la tête en raison de l’usage de bombes lacrymogène et de projectiles anti-émeutes (balles en caoutchouc et caoutchouc et métal, bombes lacrymogènes impactant le corps, mutilation oculaire, chevrotines, matraquage). Les brigades de santé, bénévoles, les médics, deviennent la cible de la répression sélective, gazage et de plus en plus d’agressions directes. Des affiches parlent de 10365 arrestations et exigent la libération des centaines de prisonniers politiques, souvent avec le A cerclé sur le mot Libertad. La violence policière des « pacos » (flics) est la première dénonciation (les carabiniers et flics) : « Pacos assassins ». « Personne ne se suicide dans un commissariat ». « Nous ne sommes pas toutes là, les flics assassinent ».

Lors du 8 et du 9 mars, dans les cortèges, mais aussi sur les murs, on représente des yeux crevés, on dénonce : « Stop aux mutilations ». « 357 yeux et nous pouvons encore voir ». « Elles avaient des yeux de feu » Et on adapte la chanson de Violeta Parra : Gracias a la vida, que me ha dado tanto, me dio dos luceros ... mais des bâtards me les ont arrachés.

Les viols systématiques dans les commissariats, sans parler des multiples humiliations, sont désormais de notoriété publique (femmes même mineures déshabillées, obligées à accomplir des tâches dégradantes, insultées). Les « ACAB, Paco violeur », ne sont donc pas à prendre au sens figuré, ni les « Que muera Piñera y no mi compañera » (Mort à Piñera, pas à ma compagne), et les « Piñera assassin violeur des Droits Humains» à la légère.

Il est vrai qu’à Paris, le 8 mars, la police a été plus violente, à Santiago pas de matraquage visible, juste des gaz lacrymogènes et les canons à eau. Le métro est resté ouvert et les certaines images sont surréalistes en la circonstance : les vendeurs d’eau (pour les yeux) et de boissons fraîches (pour la canicule) circulent parmi les manifestants, des promeneurs traversent l’avenue ou participent aux applaudissements lorsque la police recule. Il me semble que les « pacxs « cherchaient à provoquer puis faciliter la sortie de manif, leur problème étant précisément la résistance quotidienne des manifestant.e.s à la dispersion. Là les choses peuvent se gâter mais tout de suite, la consigne semble être – pour l’instant mais pour combien de temps- de ne pas détériorer l’image du gouvernement dans l’espoir sans doute que le référendum du 26 avril ci marque la fin de la révolte et celui d’obtenir une majorité à la Constituante favorable à « l’ordre » face aux « perturbateurs » selon la logique de la dictature, qui vend l’ordre établi pour de la paix et de de la tranquillité au « citoyen sans histoires. Les sondages 4 mars Pulso Ciudadano de Activa Research, sur la 2 quinzaine de février, recense 81% d’avis défavorables pour le gouvernement et 57% de soutien aux manifestations.

La haine de la police répond également à une conscience militante et de classe très présente : « Flics et militaires mercenaires des riches », « Ta profession c’est de tuer les pauvres gens ». Et les femmes carabiniers attirent encore plus les foudres des manifestantes (« La paca n’est pas une compagne »).

Là aussi des slogans anarchistes fleurissent tel « Contre l’État policier, ses lois, ses prisons, A. Agitation permanente ».


Le rejet des partis politiques


« EL pueblo unido jamás será vencido » (Le peuple uni ne sera jamais vaincu) est devenu « El pueblo unido funciona sin partidos » (Le peuple uni fonctionne sans les partis). Autres inscriptions murales accompagnées du A cerclé comme « Ni sigles ni partis ». J’analyse ainsi cette volonté des révoltés du 18 octobre : ils se sont sentis trahis par les partis politiques parlementaires. Ceux-ci, de la pinochetiste UDI à la gauche, Frente AMPLIO et PC, ont signé « l’Accord pour la Paix Sociale et la Nouvelle Constitution » proposé par le président Piñera et dont le texte lui-même dit qu’il se veut une « sortie institutionnelle » à la « grave crise politique sociale du pays ». La signature de ce pacte avec Piñera fait suite à la grève générale du 12 novembre, point culminant de la révolte populaire. Le pacte sauve Piñera qui, de surcroît, décide de la solution à apporter à la crise - à savoir un référendum pour un changement de Constitution -, et en établit les règles. Il sauve ainsi les partis parlementaires d’une révolution de rue et leur garantit la rédaction du changement avec les coudées franches pour négocier entre eux et avec le pouvoir dans le dos de leurs électeurs et électrices. Cerise sur le gâteau pour eux tous, organes de pouvoir, le référendum exclut de fait le secteur de la population le plus radicalisé dans ses revendications et moteur de la révolte, la jeunesse, dans toute son importante frange de moins de 18 ans donc sans droit de vote, ainsi que les collectifs féministes, indigènes, syndicalistes puisque l’élection se fera sous la loi électorale actuelle, celle de Pinochet, favorisant les partis traditionnels. Et il s’agit bien, aussi bien pour le gouvernement que pour les partis, unis pour conserver le pouvoir ou pour le briguer, de canaliser la contestation et de mettre fin à la révolte pour en tirer leur propre épingle du jeu.


Une ville mobilisée pour les femmes


La veille de la Journée Internationale des Femmes, toute la ville de Santiago est couverte d’inscriptions, affiches et autocollants. Par exemple des affichettes suscitent la prise de conscience : « T’est-il arrivé » ... d’être suivie, avoir peur dans la rue, d’avoir subi commentaires sur la couleur de leur peau, de devoir dire où tu allais ou dans quelle voiture tu montais pour rentrer chez toi etc. A chaque fois, la réponse sous forme de slogan : « Pour les femmes, couvre-feu permanent » en rappel du couvre-feu décrété par Piñera au lendemain de l’Estallido social.


DEUXIÈME VOLET
8 MARS ¡LA REVOLUCIÓN ES FEMINISTA!



Rassemblement pour la manif


Très tôt le matin, des colleurs et colleuses d’affiches s’activent, des groupes finissent de composer ou accrocher leur banderole, des peintres exécutent des fresques murales, des drapeaux mapuches ondoient. Aucun drapeau de parti politique mais le drapeau chilien, souvent endeuillé, noir avec son étoile blanche, en hommage aux victimes mortelles de la répression de la révolte. On se retrouve et on converge vers le point de départ Plaza de la Dignidad, depuis les multiples lieux annoncés pour une ultime rencontre territoriale féministe par quartier. Je vois sur le trottoir d’en face un groupe de femmes carabiniers, les « pacas » honnies.

Sur la place Baquedano (Dignidad), deux bonnes heures avant le départ, c’est une explosion de créativité, dans les costumes, les mises en scène, les slogans, les arts sollicités (peinture, tissage, sculpture, théâtre, chanson) où se mêle la culture mapuche. Aucun folklore cependant, une expression authentique, hors clichés. L’expression des revendications se veut très personnelle. « Devenir une femme », comme le dit une immense banderole, est pour beaucoup une création qui ne se fera pas avec les mots et dans les moules existants.

Autre caractéristique, les stands de produits dérivés du 8 M et de la révolte sociale. Sur des draps à terre, on trouve divers modèles de foulards, autocollants, etc. Et en particulier l’emblème de la Révolte sociale, le negro Matapacos, un chien noir avec son foulard rouge, dont on a fait jusqu’à des porte-clés. Vous imaginez, un 8 mars à Paris, une vente de foulards avec l’inscription « Saint noir Tue-Flics, saint patron de la révolte ? » Et ce n’est pas tout, on peut acheter des frondes et des billes d’acier, le stand est certes illégal mais vous l’imaginez à Paris, place de la République, pendant trois heures avant le démarrage de la manif, sans intervention de la police ? Bref, nous en sommes venus à avoir moins de libertés que le Chili qui pourtant demande encore à changer la Constitution de Pinochet en vigueur et dénonce la néo-dictature de Piñera...


Les manifestant.e.s


Les manifestantes se caractérisent par l’audace de la libération des esprits et des corps, des femmes le torse nu, les seins peints de couleurs guerrières, le ventre nu avec des inscriptions provocatrices : « Je n’invite pas au viol ». « Ça c’est pour le porno ». Au point de départ de la manifestation, telle une amazone, l’une d’elles chevauche la statue du général Baquedano, torse nu et agitant un drapeau noir. La plus belle image du 8 mars ! Bravo les Chiliennes !!!


Chacun son rôle, la Primera Linea feminista sont des femmes, habillées de noir, venues en découdre, provoquer la police et résister à l’ordre de dispersion, dix heures du soir et elles résistaient encore. Derrière elle, voici les très combatives et applaudies « Mamis de la capucha » (mamans cagoulées) avec leurs boucliers, la génération des mères : « Vive celles qui luttent. Nous sommes les mamans cagoulées ». La sororité nous unit tou.te.s, un homme arbore fièrement sa pancarte « Vous avez les balles, nous femmes avons les émotions ». Tou.te.s , à l’exclusion des femmes de l’appareil de répression qui sont l’une des cibles de prédilection des manifestant.e.s : « La Paca n’est pas notre sœur ». A l’exclusion des femmes du gouvernement, comme la ministre de la condition de la femmes Isabel Plá, contrainte à la démission le 10 mars, considérée comme traîtresse : « Avis de recherche : Isabel Plá, pour complicité et recel ». La révolte sociale avait déjà obtenu celle de Marcela Cubillos, ministre de l’Éducation fin février. La moyenne d’âge des manifestants, est très jeune parmi les adultes, beaucoup d’enseignant.e.s d’écoles primaires, lycées et universités, par exemple cette banderole : « Ecole d’Anthropologie Présente dans la lutte les droits des femmes. Université du Chili ». A Valparaiso, le 11, je verrai même professeurs et élèves en uniforme quitter ensemble un lycée pour rejoindre la manifestation quotidienne de la révolte. Parmi les slogans : « Nous exigeons une éducation non sexiste ». On va manifester avec des enfants jeunes, y compris en poussette, certains restent jusqu’à recevoir les premiers jets de lacrymogène. Mais il y a aussi des femmes très âgées ne craignant pas les gaz lacrymo.

Est-ce seulement un mouvement lycéen et estudiantin ? Non, non seulement il y a une participation des classes populaires, dans un pays où la première discrimination est celle de la classe sociale, mais aussi une adhésion populaire à la révolte sociale : « Tant qu’il y aura de la misère, il y aura de la rébellion », « Nous sommes les sans visage », « La révolution se fera avec nous. Femmes des classes populaires, nous sortons dans la rue construire ensemble la chute du patriarcat et du capital ». On entend des sifflets et des insultes fuser anonymement au passage des fourgon de pacos, la veille de la manifestation. La haine de la police est énorme. Des inscriptions disent que l’exploitation est devenue insupportable et que l’heure de la lutte a sonné : « Puisque nos vies ne valent rien, rendons-les indispensables ».


La Journée Internationale des Femmes


La journée présente, de nombreux points communs avec d’autres 8M que j’ai vécus, en particulier celui de Rome en 2018, qui fut historique. Je sais là aussi qu’à Santiago, ce sera une marée, il y a cette joie d’être ensemble nous les femmes et de pouvoir partager notre expérience de discrimination ou de souffrance -et rare est la femme qui n’a pas une histoire à raconter- et trouver de l’empathie. Il y a aussi des différences : la détermination et la rage sont beaucoup plus fortes au Chili, ces femmes demandent le droit à l’avortement libre et gratuit pour ne pas mourir en avortant (« Avortement libre pour ne pas mourir »), à ne pas subir d’humiliations en accouchant, à ne pas subir les comportements machistes dans la rue, elles dénoncent la banalité des viols, exigent la liberté de circuler sans peur. Et de décider de leur propre vie. Tout est à faire en matière de droits des femmes, elles dénoncent les viols à la maison, dans la rue, au commissariat et elles ont à demander tout ce que nous demandons, comme l’égalité salariale, mais aussi tout ce que nous avons déjà obtenu, et tout de suite. Les pancartes disent que les machistes n’obtiendront plus de la jeune génération silence et soumission : « No es no ». « Je serai la femme que j’aurai envie d’être » proclame une petite fille. « Je viens pour ma maman » dit son petit frère.

Sous une température caniculaire, en cette journée d’été dans l’hémisphère sud qui obligeait à un déploiement de parasols et parapluies colorés, la manifestation démarre vers 11h en ordre non pas dispersé mais libre. Un parcours jusqu’à la place Echaurren un peu après le Palacio de la Moneda, au Métro Republica. Peu de bannières syndicales, pas d’ordre convenu ou s’imposant aux autres pour prendre la tête de la manif, aucun mégaphone, pas de partis venus pour leur paroisse avec un drapeau par tête et, enfin, pas de slogan éculé répété comme à la messe. Un collectif démarre avec sa banderole puis un autre puis rien, des femmes s’arrêtent pour écrire sur la chaussée à la peinture blanche, Históricas, de nombreuses pancartes reprennent le jeu de mots reprenant et refusant les stéréotypes machistes, « Non pas hystériques mais historiques ». Un drap rouge est porté comme un linceul, y sont brodés les noms des 582 victimes de féminicides de 2010 à février 2020.

Les groupes crient des slogans contre le machisme, le féminicide, le viol, pour l’avortement avec une force qui ne s’embarrasse pas du politiquement correct sans que cela doive être pris au pied de la lettre, « Piñera, dommage que ta mère n’ait pas avorté », « J’avorte pour éviter qu’il soit flic ». « Le flic mort ne viole pas ». « Je ne mettais pas cette robe pour toi, petit mâle violeur » porte une jeune fille en minirobe rose à dentelles. Je ne suis pas peu vêtue, c’est toi qui as eu d’éducation dit une autre en maillot de bain. Deux autres ont le ventre nu l’une avec l’inscription « Je ne suis pas disposée à être violée », l’autre « Pour le porno ».

Le slogan le plus fréquent, outre « Paco violador » est « Piñera dictador igual que Pinochet » (Piñera, dictateur comme Pinochet). On lit aussi « Au Chili on torture comme sous la dictature ». Cette génération est née après la dictature, qui s’est achevée en 1990. Mais les ministres pinochetistes sont là, la Constitution de Pinochet est encore en place, les droits humains sont encore violés dans les commissariats, alors ceci explique cela.

Lorsque nous approchons de la Moneda, le temps se gâte, toujours un soleil de plomb mais les blindés sont de sortie pour empêcher les manifestant.e.s d’approcher le palais présidentiel. Toute l’Alameda est bordée de hautes barrières métalliques que les manifestant.e.s renversent. Les bouteilles de soda et les cailloux fusent vers les policiers sur tout le parcours, ils répondent par le canon à eau et visiblement entendent que la manifestation se disperse. Les manifestants avancent, quand la police anti-émeutes recule, ce sont cris de joie et applaudissements Les charges commencent aussi. Résister, faire durer la manif, faire durer la lutte, jusqu’à obtenir la dignité pour les femmes et pour tous, une Assemblée constituante. Et les manifestant.e.s résistent à la dispersion des heures durant, les parents sont encore là aux premiers gaz avec leurs enfants de 7 ans, ils sont les premiers à reculer et quitter la manif. Je vois des ados insulter les flics à 5 m, j’ai pris en photo une collégienne en uniforme, criant à un flic « Paco Culiao » (Salaud de flic). A 17h, 19 policiers blessés et 16 détentions selon la générale des carabiniers Berta Robles. Mon compagnon et moi résistons encore deux heures mais, trop gazés, nous devons être quelque peu secourus par les médics. Nous rentrons par des rues parallèles également investies mais il est possible de trouver peu à peu l’issue de la souricière. Comme à chaque manif, la Primera Linea (Première ligne), hommes et femmes (et j’ai lu sur les murs « Merci Primera linea »), tiennent encore alors que la nuit est tombée. La manifestation s’achève 12 bonnes heures après le début du rassemblement. Aucun pillage, aucune vitrine brisée. Et ils/elles reviendront jour après jour car la Révolte sociale continue.


Le sens de la lutte


Contre le patriarcat

Les slogans de dénonciation du système patriarcal mettent en cause l’État, la sphère politique, le capitalisme dans les discriminations faites aux femmes : « Estado asesino, Vidas patriarcadas » (Etat assassin, vies soumises au patriarcat). « Contre le fascisme et le patriarcat ». La fin du patriarcat est également la condition pour que la Révolte aboutisse à une société juste et égalitaire pour tou.te.s. : « Lutter contre toutes les violences patriarcales ». « Contre le pillage et la violence coloniale patriarcale ». Et, inversement, sans lutte anticapitaliste et antiétatique, point de fin du patriarcat, il ne s’agit pas seulement comme on l’entend trop souvent en Europe de bien élever à la maison et bien éduquer à l’école, la discrimination des femmes est partie intégrale d’un système politique et économique (« Féministes combattantes contre le patriarcat. Éducation de marché »). Auquel est asservi le système éducatif : “Nous avons été élevé.e.s avec des mensonges ». Sans les femmes, pas de révolution et pas de changement de société possibles. Il n’y a pas de « Despertar » (réveil) du Chili comme le proclament les slogans depuis le 18 octobre, « le Chili se sera réveillé quand le patriarcat sera mort ». Les femmes et hommes crient le 8 mars leur détermination dans le cortège : « Dites adieu au patriarcat, le féminisme est arrivé », « Le patriarcat n’éteindra pas la flamme de la révolte féministe ».


Pour la lutte comme nouvelle attitude féminine

Les femmes des collectifs du 8 et 9 mars rejettent un retour à l’ordre établi, qui est de fait l’ordre patriarcal, et refusent d’accepter, sous couvert de paix sociale, le retour à la soumission, à la loi du silence pour les femmes victimes opprimées et à l’impunité pour les violeurs et assassins protégés par le pouvoir et sa police, comme on peut le lire sur les murs : « Retourner à la normalité sera notre défaite ». La seule paix qu’elles revendiquent est « Le droit de respirer en paix ». Les femmes revendiquent l’abandon du rôle de passivité et de soumission qui leur a été assigné par l’État et l’Église, par la société patriarcale et revendiquent l’action. Face à la paix des cimetières, les femmes appellent à la « guerre au machisme ». Elles revendiquent la lutte, la guerre, le cri, l’action, la vie contre la soumission, l’oppression, le silence, la mort à travers de nombreux slogans : « Rebelle toi ». « Lutte comme une louve”. « Nous n’avons plus peur”. « Je crains davantage l’esclavage que les flics », « Jamais soumise, toujours déterminée ». « Nous avons la rage », « Dans un monde de vers, il faut avoir du courage pour être papillon », « Femmes et enfants en rébellion », « Eduquer c’est combattre ».

La violence est le fait l’État : « Grève générale féministe contre le terrorisme d’État » , « A ta violence nous répondons par la résistance ». Et si elles sont taxées de violence, cela vaut mieux que la passivité qui les tue : « Je te préfère violente plutôt que violée et morte ». “Nous luttons parce que nous sommes vivantes sans savoir jusqu’à quand”. Elles disent à leurs détracteurs/trices : « La violence c’est ton indifférence », « Le féminisme te dérange plus que les féminicides ». Leur lutte et leur force sont de signe constructif : « Je suis l’eau et je me mobilise pour ma libération ». « Nous sommes l’eau, nous retrouverons notre cours et et nous emporterons tout », « Nous renaîtrons de nos blessures. Toute violence sera transformée ». « Nous résistons pour vivre, nous luttons pour transformer ».


Pour la mémoire et la justice

Il faut se souvenir et faire justice pour créer une nouvelle société. L’oubli, comme le silence, est synonyme d’impunité : « La lutte du peuple contre le pouvoir, la lutte de la mémoire contre l’oubli », «Stop à l’impunité », « Piñera bâtard le peuple n’oublie pas » , « Il n’y aura pas de paix sans justice». « Je ne veux pas que mes morts reposent en paix ». Tous ces slogans renvoient aussi bien aux mortes assassinées de la dictature de Pinochet qu’à celle de la « néo dictature » dénoncée de Piñera.

Les femmes réclament d’avoir une histoire et de s’en souvenir pour un récit personnel et collectif : « Je ne veux pas seulement l’égalité et la justice, je veux pouvoir raconter mon histoire ». Ainsi les femmes disparues d’hier et d’aujourd’hui, les femmes mutilées, ont une voix et des yeux : « Nous sommes le cri de celles qui ne sont plus là », « Leurs yeux, notre mémoire ». Et une inscription d’une beauté anarchiste : « Es mi memoria y no tiene himnos » (c’est ma mémoire et elle n’a pas d’hymnes). Il faut refuser l’injustice (les murs sont couverts de plaintes spontanées pour harcèlement, viol, machisme, féminicide) et faire justice : « Grève générale féministe pour la vérité, la justice et la réparation ». Un mot couvre un mur : « Impardonnables ».


Pour la liberté

La liberté de mouvement, de décider de sa vie, de ne pas déléguer son esprit ou son corps sont très présents : « Je suis là parce que quand mes élèves seront adolescentes, je veux qu’elles soient libres et non courageuses de revenir chez elles ». « C’est moi qui décide ». « Seule ou ivre je veux arriver vivante à la maison. », « Nous nous voulons vivantes, libres et sans peur ». « Je n’appartiens à personne ».


Pour une reconnaissance du féminin

Les femmes reconquièrent l’estime de soi dans de nombreux slogans : "Très fière d’être une femme ». « Je marche pour tous les Nobel qui nous sont dus ». « Je marche pour une plus grande valorisation du féminin ». Et elles affirment de nouvelles valeurs féministes telles que la sororité, solidarité dans la lutte collective : “Nous sommes des compagnes, pas de concurrence”. « Tu n’es pas seule”. “Quand une femme fait un pas, nous avançons toutes”. “Nous ne sommes jamais trop petites pour faire la différence”. “Vous n’êtes pas seules, mamans cagoulées ». Et signent la fin des stéréotypes imposés par le patriarcat : “Tu es belle et forte avec ta cagoule”. “Ni soumise ni dévote, libre de stéréotypes et folle”. “Brûlons le patriarcat et à son amour romantique”. “A(r)mate mujer » est un slogan qui revient souvent sur les murs : « Femme, aime-toi, Arme-toi ».

Les femmes du 8 M à Santiago veulent un changement de société avec une détermination sans faille : « Nous les femmes nous sommes réveillées et nous veillons ». « Nous sommes une puissance féministe internationaliste ». « La révolution sera féministe » lit-on partout et cette fois ce n’est pas un mot d’ordre à répéter le 8 mars 2021. « Contestation toute l’année ». « Jamais sans nous » . Et les collectifs féminins continuent la Révolte sociale : « Nous, les femmes, sommes en première ligne ». De nombreux slogans associent féminisme et anarchisme. Quelques rares slogans féministes réclamant le pouvoir pour les femmes mais nous ne dénonçons pas le pouvoir patriarcal pour le remplacer par un autre. Et s’il n’y a pas de féminisme sans anarchisme, je pense aussi que le féminisme est l’avenir de l’anarchisme.




TROISIÈME VOLET
LA GREVE GENERALE FEMINISTE DU 9 MARS
VERS LE REFERENDUM DU 26 AVRIL



« La grève générale Féministe est antiraciste, transféministe, lesboféministe, plurinationale, anticarcérale, Intergénérationnelle, migrante, internationaliste, inclusive. » Le féminisme s’avère être le fer de lance des luttes et le point de convergence des luttes de par sa situation de nœud des transversalités. En témoignent les slogans sur les murs et dans les cortèges.

Sur le parcours du cortège, nourri mais moins massivement que la veille qui a vu une participation de plus d’un million de personnes, les revendications ajoutent quelques thèmes plus généraux en plus comme le non au TPP- 11 ou aux AFP et la priorité donnée dans les slogans à l’exigence de libération des prisonniers politiques (avec un x en lieu du o du masculin et du a du féminin comme écriture inclusive).

A nouveau on entend l’anticapitalisme associé au patriarcat, « le néolibéralisme étant né au Chili mourra au Chili » crient les manifestant.e.s en référence à la dictature de Pinochet l’initiateur de l’ultralibéralisme. Il s’agit d’exiger un retour au service public dans un pays où tout a été privatisé en matière de santé (personnel hospitalier) ou d’éducation mais aussi de retraites. Les manifestants réclament la suppression des AFP, la capitalisation des retraites, pour le remplacer un système de retraite tripartite et solidaire public géré par les travailleurs et les retraités. Je discute avec une collègue qui porte la pancarte “Je suis professeure. 40 ans d’exercice. Pension 185 000 pesos”, soit 185 euros par mois.” Les personnels hospitaliers demandent un système de santé universel. Et enfin une « Education publique, gratuite laïque démocratique et non sexiste » pour les Niñes, ici c’est le « e » qui tient lieu de « o » du masculin ou de « a » du féminin pour une écriture inclusive

De nombreuses pancartes demandent la restitution de tel ou tel fleuve, l’accès à l’eau, dénoncent que le problème n’est pas la sécheresse qui a affecté cet hiver et cet été le Chili mais les voleurs au gouvernement puisque l’eau n’est pas publique et que l’eau potable sert à arroser les vignes des riches propriétaires. On dénonce le TPP-11, accord d’Association Transpacifique, qui réduit encore le champ du service public et des entreprises publiques ainsi que la souveraineté du pays, touchant entre autres la santé, l’ éducation, la culture, les droits indigènes, la culture ainsi que l’agriculture et la pêche livrées aux multinationales.

La grève est féministe, la manifestation reprend les slogans pour le droit à l’avortement et autres revendications de la veille. L’immense participation du 8 ne m’avait pas permis de voir un mur couvert de post-it terriblement émouvant (voir photo) : chaque petit carré de papier manuscrit porte le témoignage à la première personne d’un harcèlement, comportement machiste ou viol subis et en dénonce l’auteur avec nom prénom parfois mail ou autres coordonnées, je vois une jeune fille écrire son propre post-it. Plus de tabou, finie la loi du silence, finie l’impunité des violeurs. L’avenue est couverte d’affichettes d’alertes imprimée pour les harceleurs, pour les machistes, Sur le gazon du jardin public, des papiers en guise de pierres tombales, disent le nom de victimes de féminicide. Dans une rue piétonne j’avais déjà vu un arbre à témoignages contre les conditions dégradantes des accouchements et fausses couches.

Enfin, beaucoup de slogans en faveur du « Sí Apruebo » (Oui, j’approuve, je vote pour) pour le référendum du 26 avril sur la réforme de la Constitution.


La campagne pour le référendum du 26 avril


Les affiches et slogans en faveur du Oui lors du référendum sur la future réforme de la Constitution, couvrent les murs de la ville. Seuls les pinochetistes UDI et RN font campagne pour le non, pour le rejet de la proposition ou « Rechazo », car ils entendent conserver la Constitution de Pinochet. L’ex Concertacion, donc le Frente Amplio et le PC appellent au Oui. Toujours selon le sondage Pulso Ciudadano de Activa Research, déjà cité, 76% des Chilien.ne.s seraient d’accord pour changer la Constitution et 69,6% voteraient « pour « si les élections avaient lieu le dimanche 8 mars. Dans les manifestations, les appels au Oui sont massifs et on lit «Non à la répression. Oui au processus constituant », ou encore “Pour une nouvelle constitution paritaire, plurinationale, démocratique et participative ». « J’approuve. Chili digne. Chili féministe ». « Le Chili décide ».

Formidable mais de quoi parle-t-on exactement ? A y regarder de plus près et d’un point de vue anarchiste, l’adhésion au Oui ne mérite pas, à mon sens, un tel enthousiasme. D’abord pour les raisons déjà évoquées : exclusion des jeunes de moins de 18 ans, pourtant protagonistes de la révolte, et détournement de la révolution dans la rue au réformisme parlementaire selon une loi électorale pinochetiste en vigueur. Ensuite parce que les règles de fonctionnement de la future Constituante ont été fixées par Piñera : en établissant un quorum de 2 /3 nécessaire pour approuver la constitution, il donne à la droite un pouvoir de blocage face à tout changement réel. Les partis devront composer avec les pinochetistes dans un pays divisé en deux camps. Ensuite on le sait « Elections piège à cons » , pour les référendum, risque de manipulation maximum : il suffit au pouvoir de poser la bonne question et de la façon souhaitée en excluant une liberté de choix et toute autre option. Les dés sont ici largement pipés puisque les électeurs doivent d’abord dire sur un bulletin si oui ou non ils veulent réformer la Constitution et sur un deuxième bulletin, choisir ensuite entre deux mécanismes de réforme, une convention Constitutionnelle ou une Convention Mixte Constitutionnelle. Selon le sondage 51,2% voterait pour l’option de la convention constituante et 24,4% pour la convention mixte. La seconde option est pire que la première car une partie de la constituante serait constituée pour moitié par des parlementaires déjà en exercice mais dans les deux cas c’est un jeu de dupes entériné par le pacte parlementaire partis/ gouvernement : ni la Convention Constituante ni Convention mixte ne proposent de réécrire la Constitution sans compter que les élus seront tenus par les nombreux traités de libre commerce signés en faveur des grandes entreprises.

Le mouvement féministe dans son ensemble veut en finir avec la Constitution léguée par Pinochet et votera au referendum pour l’option Convention Constitutionnelle. Une inscription manuscrite sur une affiche pro Apruebo m’a bien plu : « Tu veux la constitution de Pinochet avec ta Convention Constitutionnelle ? ». Mais beaucoup veulent aller plus loin et demander une Assemblée Constituante Libre et Souveraine qui seule pourrait seul satisfaire les revendications en matière de Santé, Logements, Droits, Education etc avec pour objectif annoncé de créer un Système Universel et Unique de Santé public, la nationalisation des ressources naturelles et stratégiques sous gestion populaire et contrôle des communautés. Certain.e.s sont prêt.e.s à écrire cette réponse qui bien sûr invaliderait leur bulletin. Une Assemblée Constituante donnerait carte blanche aux élus et aurait tout pouvoir de décision pour toute demande populaire. Vote à 14 ans. Pas de restriction de participation. Sans Piñera à la présidence pendant les travaux. 1 pour 20 000 électeurs, révocables démocratiquement.

Tout cela me rappelle le référendum pour l’indépendance de la Catalogne de 2014, au libellé également piégé par le gouvernement régional nationaliste. Une première question pour savoir si l’électeur voulait un nouvel État indépendant et, si oui, une deuxième question demandant si oui ou non il voulait que ce soit une république. Donc Oui + oui ou non. Ou bien non et c’est tout. Les anarchistes furent les seuls à répondre Non + Oui, Non à un nouvel État et Oui à un pays d’assemblées confédérées (cette réponse étant manuscrite ou sur un bulletin alternatif). Les Chiliens aussi connaissent les referendum piégés puisque le « plebiscito » soi-disant perdu par Pinochet en 1988 (puisqu’il n’a pas obtenu le oui pour son maintien au pouvoir jusqu’en 1997), lui a tout de même permis de se retirer avec un costume sur mesure : des millions de dollars de fonds publics détournés sur des comptes à l’étranger, une immunité d’ex Chef d’Etat et le poste de chef des armées jusqu’en 1998. Tout changement de sa Constitution depuis a été cosmétique.

Tout cela étant dit sans complexe de supériorité européenne, bien au contraire, nous ne sommes pas à envier ni quant à la répression policière, ni quant aux libertés ou à la vie démocratique etc. Et le Chili a eu une femme présidente, la socialiste, Michelle Bachelet, fille d’un général mort torturé sous Pinochet. Elle a été directrice de ONU Mujeres (UN Women) de 2010 à 2013 et elle est, depuis 2018, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les droits humains.


Humour noir en guise de conclusion


Assemblée féministe à l’Université du Chili. « Sin nosotras no hay futuro. Por un nuevo Chile con paridad de género. 10 mars. Casa central 12h. » Corps professoral et de direction sont dans l’amphithéâtre et des représentantes de mouvements féministes invitées, activiste avocate, professeure de droit, présidente d’une association de fonctionnaires etc. sont venues parler en faveur de la Convention Constitutionnelle et de la nécessité mais la difficulté d’une Constitution paritaire. Échanges entre féministes réformistes présentant leurs programmes en somme. La forme de l’assemblée est conforme à n’importe quel acte officiel avec intervention à tour de rôle et sans questions de la salle, avec l’émotion et la détermination propres au 8 mars et à la perspective du 26 avril . En revanche, l’intervention de deux professeures de l’Université agoulées, dont Ana Harchas, spécialiste de théâtre, se présente comme une audacieuse et réjouissante utopie sur le mode de la boutade, mêlant un zeste de mon anarchisme et un zeste du nihilisme de mon compagnon. Elles sont venues prononcer la condamnation de l’espèce humaine pour machisme incurable. Se présentant comme deux membres du réseau mondial de Femmes organisées, elles déclarent :

« L’histoire a démontré que tout système de pouvoir organisé tend à l’exploitation des peuples, que toute articulation politique se fonde sur l’esclavage des masses par des groupes minoritaires qui en tirent d’énormes profits. A ce jour, aucun mouvement d’émancipation n’a réussi à échapper à cette dynamique pernicieuse : ni la révolution française, ni les processus indépendantistes, ni les soulèvements populaires ni la révolution bolchévique ni les totalitarismes ni les démocraties progressistes ne sont parvenus à éviter l’oppression du plus grand nombre comme pierre angulaire de leur fonctionnement. ... Face à ce constat désolant, nous les femmes, coordonnées au niveau global... prononçons la rapide et inévitable extinction de l’espèce humaine. Nous leur avons donné le jour à tous, les dictateurs, les tortionnaires, les indécis, les curés, les footballeurs... En tant que femmes, maîtresses absolues de l’organe qui rend possible la continuité de l’espèce, nous déclarons aujourd’hui la grève totale des ventres... Notre proposition n’est pas une revanche même si nous avons de bonnes raisons pour cela, simplement nous les femmes, ayant pour la première fois une conscience de classe, avons décidé la seule solution définitive et radicale pour une participation politique qui nous a été refusée depuis 5000 ans : Pas de futur sans nous, ils ne naîtront plus » .


Monica Jornet
Groupe Gaston Couté de la FA
depuis Santiago du Chili
12 mars 2020