Gavril Ilitch Miasnikov
Le Manifeste du Groupe ouvrier du Parti communiste russe (bolchevik)



Introduction


« Les contacts et les convergences entre le KAPD et Groupe Ouvrier nous permettent de comprendre pourquoi les bolcheviks - Lénine en tête - s'acharnèrent avec une hargne particulière contre les kapedistes, surtout lors du Troisième Congrès de l'IC. Il fallait à tout prix éliminer toute liaison entre l'opposition interne (qui à l'époque n'était pas encore constituée par le "Groupe Ouvrier") et l'opposition au sein de l'Internationale. Tout le poids de l'État russe sera mis au service de cette manœuvre qui réussira parfaitement bien. Mais cela ne conjurera pas complètement le péril; d'où toutes les attaques contre le KAPD bien des années après qu'il eut été expulsé de l'IC ».
(Invariance série II, no 6).

Miasnikov naquit à Perm (Oural) en 1888. Jeune ouvrier, il entra au parti bolchevik vers 1905-1906 où il étudia l'œuvre de Marx dans la traduction russe et suivit activement la polémique entre Bogdanov et Lénine (1907-1917). Très courageux, il organisa des groupes d'assaut pour les attaques contre la police et contre la propriété.

Arrêté, il passa 7 années en prison où il fut le protagoniste d'une grève qui dura 75 jours. Après la révolution de février, il devint le président du soviet de Perm, devant lequel il s'engagea à assassiner le grand-duc Michel, sans attendre les ordres du gouvernement central. Ce qu'il fit.

Durant la guerre civile, il commanda des volontaires dans la lutte contre l'armée blanche qui avait occupé la zone centrale de l'Oural. Après la fin de la guerre civile, il fut élu délégué au huitième Congrès panrusse des soviets en vue de la préparation duquel il publia un article " Les problèmes importants " (19.11.1920), dans lequel il soutenait la nécessité de former des syndicats paysans pour défendre, contre les koulaks, les masses pauvres des campagnes.

Il fut expulsé du parti en 1922 après une violente polémique avec Lénine et le Comité Central, sur la " liberté de penser autrement " . Il développa alors une activité clandestine et organisa - avec Serge Tiunov et Kuznetzov - le Groupe Ouvrier, qui organisa des grèves ouvrières en Russie en 1923. Arrêté en 1923, il fut transporté de prison en prison et subit de terribles tortures. En 1928, lors de son transfert en Arménie, la prison fut transformée en résidence surveillée. Au cours de la même année, il réussit à s'échapper en Perse. Après avoir été à nouveau en prison en Perse puis en Turquie, il réussit, début 1930, à gagner la France, où il demeura jusqu'en décembre1944, en travaillant comme ouvrier.

À la fin de la guerre, il demanda à Staline la permission de retourner en URSS. Staline envoya un avion le chercher. À partir du jour où il retourna dans son pays, on n'a plus eu de nouvelles de Miasnikov. Et pour cause! il fut, après un jugement secret par un tribunal militaire, fusillé dans une prison de Moscou, le 16 novembre 1945.



Manifeste du Groupe ouvrier du Parti communiste russe (bolchevik)


En guise de préface


Tout ouvrier conscient, que ne laisse indifférent ni les souffrances et tourments de sa classe ni la lutte titanique qu'elle mène, a certainement réfléchi plus d'une fois au destin de notre révolution à tous les stades de son développement. Chacun comprend que son sort est lié de façon très étroite à celui du mouvement du prolétariat mondial.

On lit encore dans le vieux programme social-démocrate que " le développement du commerce crée une liaison étroite entre les pays du monde civilisé " et que " le mouvement du prolétariat devait devenir international, et qu'il est déjà devenu tel " .

Le travailleur russe, lui aussi, a appris à se considérer comme soldat de l'armée mondiale du prolétariat international et à voir dans ses organisations de classe les troupes de cette armée. Chaque fois donc qu'est soulevée la question inquiétante du destin des conquêtes de la Révolution d'octobre, il tourne son regard là-bas, au-delà des frontières où sont réunies les conditions pour une révolution; mais où, néanmoins, la révolution ne vient pas.

Mais le prolétaire ne doit pas se plaindre, ni baisser la tête parce que la révolution ne se présente pas à un moment déterminé. Il doit au contraire se poser la question : que faut-il faire pour que la révolution arrive?

Quand le travailleur russe tourne ses regards vers son propre pays, il voit la classe ouvrière qui a accompli la révolution socialiste, assumé les plus dures épreuves de la N.E.P. (Nouvelle économie Politique) et, face à elle, les héros de la N.E.P., toujours plus gras. Comparant leur situation à la sienne, il se demande avec inquiétude : où allons-nous exactement?

Il lui vient alors les pensées les plus amères. Il a supporté, lui, le travailleur, la totalité du poids de la guerre impérialiste et de la guerre civile; il est fêté, dans les journaux russes, comme le héros qui a versé son sang dans cette lutte. Mais il mène une vie misérable, au pain et à l'eau. Au contraire ceux qui se rassasient du tourment et de la misère des autres, de ces travailleurs qui ont déposé leurs armes, ceux-là vivent dans le luxe et la magnificence. Où allons-nous donc ? Qu'adviendra-t-il après? Est-il vraiment possible que la N.E.P. de " Nouvelle économie politique " se transforme en Nouvelle Exploitation du Prolétariat? Que faut-il faire pour détourner de nous ce péril?

Quand ces questions se posent à l'improviste au travailleur, il regarde machinalement en arrière afin d'établir un lien entre le présent et le passé, comprendre comment on a pu arriver à une telle situation. Quelque amères et instructives que soient ces expériences, le travailleur ne peut s'y retrouver dans le réseau inextricable des événements historiques qui se sont déroulés sous ses yeux.

Nous voulons l'aider, dans la mesure de nos forces, à comprendre les faits et si possible lui montrer le chemin de la victoire. Nous ne prétendons pas au rôle de magiciens ou de prophètes dont la parole serait sacrée et infaillible; au contraire nous voulons qu'on soumette tout ce que nous avons dit à la critique la plus aiguë et aux corrections nécessaires.

Aux camarades communistes de tous les pays !

L'état actuel des forces productives dans les pays avancés et particulièrement dans ceux où le capitalisme est hautement développé donne au mouvement prolétarien de ces pays le caractère d'une lutte pour la révolution communiste, pour le pouvoir des mains calleuses, pour la dictature du prolétariat. Ou l'humanité, en d'incessantes guerres nationales et bourgeoises sombrera dans la barbarie en se noyant dans son propre sang; ou le prolétariat accomplira sa mission historique : conquérir le pouvoir et mettre fin une fois pour toutes à l'exploitation de l'homme par l'homme, à la guerre entre les classes, les peuples, les nations; planter le drapeau de la paix, du travail et de la fraternité.

La course aux armements, le renforcement précipité des flottes aériennes d'Angleterre, de France, d'Amérique, du Japon, etc., nous menacent d'une guerre inconnue jusqu'ici dans laquelle des millions d'hommes périront et les richesses des villes, des usines, des entreprises, tout ce que les ouvriers et les paysans ont créé par un travail épuisant, sera détruit.

Partout c'est la tâche du prolétariat de renverser sa propre bourgeoisie. Plus vite il le fera dans chaque pays, plus vite le prolétariat mondial réalisera sa mission historique.

Pour en finir avec l'exploitation, l'oppression et les guerres, le prolétariat ne doit pas lutter pour une augmentation de salaire ou une réduction de son temps de travail. Ce fut nécessaire autrefois, mais aujourd'hui il faut lutter pour le pouvoir.

La bourgeoisie et les oppresseurs de toute sorte et de toute nuance sont très satisfaits des socialistes de tous les pays, précisément parce qu'ils détournent le prolétariat de sa tâche essentielle, de la lutte contre la bourgeoisie et contre son régime d'exploitation : ils proposent continuellement de petites revendications mesquines sans manifester la moindre résistance à l'assujettissement et à la violence. De cette façon, ils deviennent, à un certain moment, les seuls sauveteurs de la bourgeoisie en face de la révolution prolétarienne. La grande masse ouvrière accueille en effet avec méfiance ce que ses oppresseurs directement lui proposent; mais si la même chose lui est présentée comme conforme à ses intérêts et enrobée de phrases socialistes, alors la classe ouvrière, troublée par ce discours, fait confiance aux traîtres et gaspille ses forces en un combat inutile. La bourgeoisie n'a donc pas et n'aura jamais, de meilleurs avocats que les socialistes.

L'avant-garde communiste doit avant tout chasser de la tête de ses camarades de classe toute crasse idéologique bourgeoise et conquérir la conscience des prolétaires pour les conduire à la lutte victorieuse.

On doit naturellement chercher de toutes les façons à conquérir la sympathie du prolétariat; mais pas au prix de concessions, d'oublis ou de renoncements aux solutions fondamentales. Celui-là doit être combattu qui, par souci de succès immédiat, abandonne ces solutions, ne guide pas, ne cherche pas à conduire les masses mais les imite, ne les conquiert pas mais se met à leur remorque.

On ne doit jamais attendre l'autre, rester immobile parce que la révolution n'éclate pas simultanément dans tous les pays. On ne doit pas excuser sa propre indécision en invoquant l'immaturité du mouvement prolétarien et encore moins tenir le langage suivant : " Nous sommes prêts pour la révolution et même assez forts; mais les autres ne le sont pas encore; et si nous renversons notre bourgeoisie sans que les autres en fassent autant, qu'arrivera-t-il alors? " .

Supposons que le prolétariat allemand chasse la bourgeoisie de son pays et tous ceux qui la servent. Que se produira-t-il? La bourgeoisie et les social-traîtres fuiront loin de la colère prolétarienne, se tourneront vers la France et la Belgique, supplieront Poincaré et Cie de régler son compte au prolétariat allemand. Ils iront jusqu'à promettre aux Français de respecter le traité de Versailles, leur offrant peut-être en sus la Rhénanie et la Ruhr. C'est-à-dire qu'ils agiront comme le firent et le font encore la bourgeoisie russe et ses alliés sociaux-démocrates. Naturellement Poincaré se réjouira d'une si bonne affaire : sauver l'Allemagne de son prolétariat, comme y procédèrent, pour la Russie soviétique, les larrons du monde entier. Malheureusement pour Poincaré et Cie, à peine les ouvriers et paysans qui composent leur armée auront-ils compris qu'il s'agit d'aider la bourgeoisie allemande et ses alliés contre le prolétariat allemand, qu'ils retourneront leurs armes contre leurs propres maîtres, contre Poincaré lui-même. Celui-ci pour sauver sa propre peau et celle des bourgeois français, rappellera ses troupes, abandonnera à son sort la pauvre bourgeoisie allemande avec ses alliés socialistes, et cela même si le prolétariat allemand a déchiré le traité de Versailles. Poincaré chassé du Rhin et de la Ruhr, on proclamera une paix sans annexion ni indemnité sur le principe de l'autodétermination des peuples. Il ne sera pas difficile pour Poincaré de s'entendre avec Cuno et les fascistes; mais l'Allemagne des conseils leur brisera les reins. Quand on dispose de la force, il faut s'en servir et non tourner en rond.

Un autre danger menace la révolution allemande, c'est l'éparpillement de ses forces. Dans l'intérêt de la révolution prolétarienne mondiale, le prolétariat révolutionnaire tout entier doit unir ses efforts. Si la victoire du prolétariat est impensable sans rupture décisive et sans combat sans merci à l'égard des ennemis de la classe ouvrière, des social-traîtres de la Seconde Internationale qui répriment à main armée le mouvement révolutionnaire prolétarien dans leur pays ö soi-disant libre ö de même cette victoire est impensable sans la réunion de toutes les forces qui ont pour but la révolution communiste et la dictature du prolétariat. C'est pourquoi nous, le Groupe ouvrier du parti communiste russe (bolchevik) qui nous comptons, organisationnellement et idéologiquement, parmi les partis adhérant à la IIIe Internationale, nous nous tournons vers tous les prolétaires révolutionnaires communistes honnêtes en les appelant à unir leurs forces pour la dernière et décisive bataille. Nous nous adressons à tous les partis de la IIe Internationale comme à ceux de la IVe Internationale communiste ouvrière, ainsi qu'aux organisations particulières qui n'appartiennent à aucune de ces internationales mais poursuivent notre but commun pour les appeler à constituer un front uni pour le combat et la victoire.

La phase initiale s'est achevée. Le prolétariat russe, en se fondant sur les règles de l'art révolutionnaire prolétarien et communiste, a abattu la bourgeoisie et ses laquais de toute espèce et de toute nuance (socialistes-révolutionnaires, mencheviks, etc.) qui la défendaient avec tant de zèle. Et, bien que beaucoup plus faible que le prolétariat allemand, il a comme vous le voyez repoussé toutes les attaques que la bourgeoisie mondiale dirigeait contre lui à l'incitation des bourgeois, des propriétaires fonciers et des socialistes de Russie.

C'est maintenant au prolétariat occidental qu'il incombe d'agir, de réunir ses propres forces et de commencer la lutte pour le pouvoir. Ce serait évidemment dangereux de fermer les yeux devant les dangers qui menacent au sein même de la Russie soviétique la révolution d'octobre et la révolution mondiale. L'Union soviétique traverse actuellement ses moments les plus difficiles : elle affronte tant de déficiences, et d'une telle gravité, qu'elles pourraient devenir fatales au prolétariat russe et au prolétariat du monde entier. Ces déficiences dérivent de la faiblesse de la classe ouvrière russe et de celles du mouvement ouvrier mondial. Le prolétariat russe n'est pas encore en mesure de s'opposer aux tendances qui d'un côté conduisent à la dégénérescence bureaucratique de la N.E.P. et d'un autre mettent en grand péril, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur, les conquêtes de la révolution prolétarienne russe.

Le prolétariat du monde entier est directement et immédiatement intéressé à ce que les conquêtes de la Révolution d'octobre soient défendues contre toute menace. L'existence d'un pays comme la Russie en tant que base de la révolution communiste mondiale signifie déjà une garantie de victoire, et en conséquence l'avant-garde de l'armée prolétarienne internationale ö les communistes de tous les pays ö doit exprimer fermement l'opinion encore muette du prolétariat sur les déficiences et sur les maux dont souffrent la Russie soviétique et son armée de prolétaires communistes, le PCR (bolchevik).

Le Groupe ouvrier du PCR qui est le mieux informé sur la situation russe entend commencer l'œuvre.

Nous ne sommes pas de l'avis que nous prolétaires communistes, ne pourrions pas parler de nos défauts parce qu'il y a au monde des social-traîtres et des gredins qui, comme on le soutient, pourraient utiliser ce que nous disons contre la Russie soviétique et le communisme. Toutes ces craintes sont sans fondement. Que nos ennemis soient ouverts ou cachés est tout à fait indifférent : ils demeurent ces artisans de malheur qui ne peuvent vivre sans nous nuire, nous prolétaires et communistes qui voulons nous libérer du joug capitaliste. Que s'en suit-il? Devons-nous à cause de cela passer sous silence nos maladies et nos défauts, ne pas en discuter ni prendre des mesures pour les extirper? Qu'adviendra-t-il si nous nous laissons terroriser par les social-traîtres et si nous nous taisons? Dans ce cas les choses peuvent aller si loin qu'il ne restera plus, des conquêtes de la Révolution d'octobre, que le souvenir. Ce serait d'une grande utilité pour les social-traîtres et un coup mortel pour le mouvement communiste prolétarien international. C'est justement dans l'intérêt de la révolution prolétarienne mondiale et de la classe ouvrière que nous, Groupe ouvrier du PCR (bolchevik), nous commençons, sans trembler devant l'opinion des social-traîtres, à poser dans sa totalité la question décisive du mouvement prolétarien international et russe. Nous avons déjà observé que ses défauts peuvent s'expliquer par la faiblesse du mouvement international et russe. La meilleur aide que le prolétariat des autres pays puisse apporter au prolétariat russe c'est une révolution dans son propre pays, ou au moins dans un ou deux pays de capitalisme avancé. Même si à l'heure actuelle les forces n'étaient pas suffisantes pour réaliser un tel but, elles seraient dans tous les cas en mesure d'aider la classe ouvrière russe à conserver les positions conquises lors de la Révolution d'octobre, jusqu'à ce que les prolétaires des autres pays se soulèvent et vainquent l'ennemi.

La classe ouvrière russe, affaiblie par la guerre mondiale impérialiste, la guerre civile et la famine, n'est pas puissante, mais, devant les périls qui la menacent actuellement, elle peut se préparer à la lutte justement parce qu'elle a déjà connu ces dangers; elle fera tous les efforts possibles pour les surmonter et elle y réussira grâce à l'aide des prolétaires des autres pays.

Le Groupe ouvrier du PCR (bolchevik) a donné l'alarme et son appel trouve un large écho dans toute la grande Russie soviétique. Tout ce qui, dans le PCR, pense de façon prolétarienne et honnête se réunit et commence la lutte. Nous réussirons certainement à éveiller dans la tête de tous les prolétaires conscients la préoccupation du sort qui guette les conquêtes de la Révolution d'octobre? La lutte est difficile; on nous a contraints à une activité clandestine : nous opérons dans l'illégalité. Notre Manifeste ne peut être publié en Russie : nous l'avons écrit à la machine et diffusé illégalement. Les camarades qui sont soupçonnés d'adhérer à notre Groupe sont exclus du parti et des syndicats, arrêtés, déportés, liquidés.

À la douzième conférence du PCR (bolchevik), le camarade Zinoviev a annoncé, avec l'approbation du parti et des bureaucrates soviétiques, une nouvelle formule pour opprimer toute critique de la part de la classe ouvrière, en disant : " Toute critique à l'égard de la direction du PCR, qu'elle soit de droite ou de gauche, est du menchevisme " (cf. son discours à la douzième conférence). Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie que si les lignes fondamentales de la direction n'apparaissent pas justes à un quelconque ouvrier communiste et que, dans sa simplicité prolétarienne, il commence à les critiquer, on l'exclura du parti et du syndicat; remettra à la GPU (Tchéka). Le centre du PCR ne veut tolérer aucune critique car il se considère aussi infaillible que le pape romain. Nos soucis, les soucis des travailleurs russes au sujet du destin des conquêtes de la Révolution d'octobre, tout cela est déclaré contre-révolutionnaire. Nous, le Groupe ouvrier du PCR (bolchevik), nous déclarons, devant le prolétariat du monde entier, que l'Union soviétique est une des plus grandes conquêtes du mouvement prolétarien international. C'est justement à cause de cela que nous lançons le cri d'alarme, parce que le pouvoir des soviets, le pouvoir du prolétariat, la victoire d'octobre de la classe ouvrière russe, menacent de se transformer en une oligarchie capitaliste. Nous déclarons que nous empêcherons de toutes nos forces la tentative de renverser le pouvoir des soviets. Nous le ferons bien qu'au nom du pouvoir des soviets on nous arrête et on nous envoie en prison. Si le groupe dirigeant du PCR déclare que nos soucis au sujet de la révolution d'octobre sont illégaux et contre-révolutionnaires, vous pouvez, prolétaires révolutionnaires de tous les pays, et avant tout vous qui adhérez à la IIIe Internationale, exprimer votre opinion décisive sur la base de la connaissance de notre Manifeste. Camarades, les regards de tous les prolétaires de Russie qui sont inquiets à cause des dangers qui menacent le grand Octobre sont dirigés sur vous. Nous voulons qu'à vos réunions vous discutiez de notre Manifeste et que vous insistiez pour que les délégués de vos pays au Ve Congrès de la IIIe Internationale soulèvent la question des fractions à l'intérieur des partis et de la politique du PCR vis-à-vis des soviets. Camarades, discutez de notre Manifeste et faites des résolutions. Sachez, camarades, que de cette manière vous aiderez la classe ouvrière de Russie, épuisée et martyrisée, à sauver les conquêtes de la Révolution d'octobre. Notre Révolution d'octobre est une partie de la Révolution mondiale !

Au travail camarades !

Vivent les conquêtes de la Révolution d'octobre du prolétariat russe !
Vive la révolution mondiale !




Dialectique de la lutte de classe


L'histoire de la lutte de classe montre de façon évidente que dans des conditions historiques différentes, une même classe a pu prêcher la paix sociale ou la guerre civile. La propagande pour la paix sociale ou la guerre civiles de la part d'une même classe a été dans certaines périodes révolutionnaires et conforme à un intérêt universel humain, contre-révolutionnaire et étroitement égoïste en d'autres, se préoccupant de défendre des intérêts de classe limités s'opposant à l'intérêt de la société, de la nation, de l'humanité. Seul le prolétariat est toujours révolutionnaire et universellement humain, qu'il prêche la paix sociale ou la guerre civile. La révolution russe offre de bons exemples de la façon dont différentes classes, initialement favorables à la paix sociale, se sont transformées en champions de la guerre civile, et inversement. L'histoire de la lutte des classes en général et en particulier celle des vingt dernières années en Russie nous enseigne que la classe dominante, qui a l'habitude de prêcher la paix sociale, prêchera une sanglante et impitoyable guerre civile après la prise du pouvoir par le prolétariat. Cela vaut aussi pour les " fractions bourgeoises " qui affichent une " phraséologie ambiguë " et pour les partis de la Seconde Internationale et de l'Internationale deux et demi. Le parti du prolétariat doit prêcher avec toute la force et toute l'énergie possible, la guerre civile dans les pays de capitalisme avancé, la guerre contre la bourgeoisie et ses complices; il doit au contraire prêcher la paix sociale dans tous les pays où le prolétariat a vaincu.


Le front unique socialiste


Avant d'examiner le contenu essentiel de cette question, il est nécessaire de nous remettre en mémoire les conditions dans lesquelles les thèses du camarade Zinoviev au sujet du front unique furent, en Russie, débattues et acceptées. Du 19 au 21 décembre 1921 eut lieu la douzième conférence du PCR (bolchevik) au cours de laquelle fut posée la question du front unique. Jusqu'alors rien n'avait été écrit dans la presse ou discuté à ce sujet dans les réunions de parti. Cependant, à la conférence, le camarade Zinoviev se laissa aller à de rudes attaques et la conférence fut si surprise qu'elle céda tout de suite et approuva les thèses à mains levées. Nous rappelons cette circonstance non pour offenser qui que ce soit mais pour attirer avant tout l'attention sur le fait : 1. que la tactique du front unique fut discutée de façon très hâtive, quasi " militairement " ; 2. qu'en Russie même elle est réalisée de façon tout à fait particulière.


Le PCR (bolchevik) fut le promoteur de cette tactique au sein du Komintern. Il convainquit les camarades étrangers que nous, révolutionnaires russes, avions vaincu justement grâce à cette tactique du front unique et qu'elle avait été édifiée en Russie sur base de l'expérience de toute l'époque prérévolutionnaire et particulièrement à partir de l'expérience de la lutte des bolcheviks contre les mencheviks.

Les camarades venus de différents pays connaissaient simplement le fait que le prolétariat russe avait vaincu, et ils voulaient de même vaincre leur bourgeoisie. Maintenant on les persuadait que le prolétariat russe avait vaincu grâce à la tactique du front unique. Comment leur aurait-il été possible alors de ne pas approuver cette tactique? Ils croyaient sur parole que la victoire de la classe ouvrière russe était le résultat de la tactique du front unique. Ils ne pouvaient pas faire autrement puisqu'ils ne connaissaient pas l'histoire de la révolution russe. Un jour le camarade Lénine a condamné très durement celui qui se fie aux simples mots, mais il ne voulait vraisemblablement pas dire qu'on ne devait pas le croire lui sur parole.

Quelle leçon pouvons-nous alors tirer de l'expérience de la révolution russe? Quelle fut la tactique des bolcheviks quand se posa la question de savoir si on devait lutter pour la révolution démocratique ou pour la révolution socialiste? La lutte pour le pouvoir des conseils réclame-t-elle peut-être aussi le " front unique socialiste " ?

Les révolutionnaires marxistes considèrent toujours le parti des socialistes-révolutionnaires comme une " fraction démocratico-bourgeoise " à la " phraséologie socialiste ambiguë " ; ce qui a été confirmé dans une grande mesure par son activité durant toute la révolution, jusqu'à l'heure actuelle. En tant que fraction démocratico-bourgeoise, ce parti ne pouvait pas se proposer la tâche pratique d'une lutte pour la révolution socialiste, pour le socialisme; mais il chercha, en utilisant une terminologie " socialiste ambiguë " , d'empêcher à tout prix cette lutte. S'il en est ainsi (et il en est ainsi) la tactique qui devait conduire le prolétariat insurgé à la victoire ne pouvait être celle du front unique socialiste, mais celle du combat sanglant, sans ménagement, contre les fractions bourgeoises à la terminologie socialiste confuse. Seul ce combat pouvait apporter la victoire et il en fut ainsi. Le prolétariat russe a vaincu non en s'alliant aux socialistes-révolutionnaires, aux populistes et aux mencheviks, mais en luttant contre eux. Il est nécessaire d'abandonner la tactique du " front unique socialiste " et d'avertir le prolétariat que " les fractions bourgeoises à la phraséologie socialiste ambiguë " ö à l'époque actuelle tous les partis de la Seconde Internationale ö marcheront au moment décisif les armes à la main pour la défense du système capitaliste.

Il est nécessaire, pour l'unification de tous les éléments révolutionnaires qui ont pour but le renversement de l'exploitation capitaliste mondiale, qu'ils s'alignent avec le parti communiste ouvrier allemand (KAPD), le parti communiste ouvrier hollandais et les autres partis qui adhèrent à la IVe Internationale. Il est nécessaire que tous les éléments révolutionnaires prolétariens authentiques se détachent de ce qui les emprisonne : les partis de la Seconde Internationale, de l'Internationale deux et demi et de leur " phraséologie socialiste ambiguë " . La victoire de la révolution mondiale est impossible sans une rupture principielle et une lutte sans quartier contre les caricatures bourgeoises du socialisme. Les opportunistes et les social-chauvins, en tant que serviteurs de la bourgeoisie et par-là ennemis directs de la classe prolétarienne, deviennent, plus spécialement aujourd'hui, liés comme ils le sont, aux capitalistes, des oppresseurs armés dans leurs propres pays et dans les pays étrangers (cf. Programme du PCR bolchevik). Telle est donc la vérité sur la tactique du front unique socialiste qui, comme le soutiennent les thèses de l'Exécutif de l'IC, serait fondée sur l'expérience de la révolution russe, alors qu'elle est en réalité une tactique opportuniste. Une telle tactique de collaboration avec les ennemis déclarés de la classe ouvrière qui oppriment les armes à la main le mouvement révolutionnaire du prolétariat dans leur pays et dans les autres, est en contradiction ouverte avec l'expérience de la révolution russe. Pour rester sous le signe de la révolution sociale, il est nécessaire de réaliser un " front unique " contre la bourgeoisie et ses serviteurs socialistes.


À propos des thèses de l'Exécutif de l'Internationale communiste


Les thèses qui en leur temps furent dans la " Pravda " montrent clairement de quelle façon les " théoriciens " de l'idée du " front unique socialiste " comprennent cette tactique. Deux mots seulement sur l'expression " front unique " . Chacun sait à quel point étaient " populaires " en Russie en 1917 les social-traîtres de tous les pays et en particulier Scheidemann, Noske et Cie. Les bolcheviks, les éléments de base du parti qui avaient peu d'expérience, criaient à chaque coin de rue : " Vous, traîtres perfides de la classe ouvrière, nous vous pendrons à des poteaux télégraphiques! Vous portez la responsabilité du bain de sang international dans lequel vous avez noyé les travailleurs de tous les pays. Vous avez assassiné Rosa Luxemburg et Liebknecht. Les rues de Berlin, grâce à votre action violente, furent rouges du sang des travailleurs qui s'étaient soulevés contre l'exploitation et l'oppression capitalistes. Vous êtes les auteurs de la paix de Versailles; vous avez porté d'innombrables blessures au mouvement prolétarien international, parce que vous le trahissez à chaque instant " .

Il faut également ajouter qu'on n'a pas décidé de proposer aux ouvriers communistes le " front unique socialiste " , c'est-à-dire un front unique avec Noske, Scheidemann, Vandervelde, Branting et Cie. Un tel front unique doit être d'une façon ou d'une autre masqué et c'est ainsi qu'il fut procédé. Les thèses ne sont pas simplement intitulées " le front unique socialiste " , mais " thèses sur le front unique du prolétariat et sur l'attitude vis-à-vis des ouvriers appartenant aux Internationales II et III et demie et celle d'Amsterdam, de même que vis-à-vis des ouvriers adhérant aux organisations anarchistes et syndicalistes " . Pourquoi une sauce si longue? Voyez-vous, le camarade Zinoviev lui-même qui, naguère encore invitait à collaborer à l'enterrement de la II Internationale, invite maintenant à des noces avec elle. De là le titre à rallonge. En réalité on a parlé d'accord non avec les ouvriers, mais avec les partis de la II Internationale et de l'Internationale II et demi. Tout ouvrier sait, même s'il n'a jamais vécu dans l'émigration, que les partis sont représentés par leur comité central, là où siègent les Vandervelde, les Branting, les Scheidemann, les Noske et Cie. Ainsi, c'est avec eux également que s'établira l'accord. Qui est allé à Berlin à la conférence des trois Internationales? À qui l'Internationale communiste s'est-elle fiée corps et âme? À Wels, à Vandervelde, etc... Mais a-t-on cherché à obtenir une entente avec le KAPD, étant donné que le camarade Zinoviev soutient que là se trouvent les éléments prolétariens les plus précieux? Non. Et pourtant le KAPD se bat pour organiser la conquête du pouvoir de la part du prolétariat. Il est vrai que le camarade Zinoviev affirma dans les thèses qu'on ne vise pas à une fusion de l'Internationale communiste avec la IIe Internationale à l'égard de laquelle il rappela la nécessité de l'autonomie organisationnelle. Les communistes s'imposent la discipline dans l'action mais ils doivent conserver le droit et la possibilité ö non seulement avant et après mais si c'est nécessaire aussi durant l'action ö de se prononcer sur la politique des organisations ouvrières sans exceptions. Discipline dans les pourparlers et autonomie de jugement sont formellement reconnues par le statut du PCR (bolchevik) dans la vie interne du parti.

On doit faire ce que la majorité a décidé et tu peux seulement exercer le droit à la critique. Fais ce qu'on te commande, mais si tu es vraiment trop scandalisé et convaincu qu'on est en train de nuire à la révolution mondiale, tu peux, avant, durant et après l'action, librement exprimer ta rage. Dans ces mêmes thèses, l'Exécutif proposa le mot d'ordre de gouvernement ouvrier qui doit se substituer à la formule de la dictature du prolétariat. Qu'est-ce exactement qu'un gouvernement ouvrier ? C'est un gouvernement constitué par le comité central réduit du parti; la réalisation idéale de ces thèses se rencontre en Allemagne où le président Ebert est socialiste et où se forment des gouvernements qui ont son agrément. Même si cette formule n'est pas acceptée, les communistes devront appuyer par leur vote les premiers ministres et les présidents socialistes comme Branting en Suède et Ebert en Allemagne. Le camarade Zinoviev leur offre le front unique et propose de former un gouvernement ouvrier avec participation communiste. Ainsi il troque le gibet contre le fauteuil ministériel et la colère contre la sympathie. Noske, Ebert Scheidemann et Cie iront dans les assemblées ouvrières et raconteront que l'IC leur a consenti une amnistie et offert des postes ministériels à la place de la potence. Ceci pourtant à une condition, que les communistes reçoivent un ministère. Ils diront à toute la classe ouvrière que les communistes ont reconnu la possibilité de réaliser le socialisme seulement en s'unissant avec eux et non contre eux. Et ils rajouteront : Regardez un peu ces gens! Ils nous pendaient et enterraient d'avance; finalement ils sont venus à nous.

L'Internationale Communiste a donné à la IIe Internationale une preuve de sa sincérité politique et elle a reçu une preuve de misérabilité politique. Qu'y a-t-il en réalité à l'origine de ce changement? Comment se fait-il que le camarade Zinoviev offre à Ebert, à Scheidemann et à Noske des fauteuils ministériels au lieu du gibet? Il y a peu de temps il chantait l'oraison funèbre de la IIe Internationale et maintenant il en ressuscite l'esprit. Pourquoi chante-t-il désormais ses louanges? Verrons-nous vraiment sa résurrection et la réclamerons-nous réellement?

À une telle question les thèses du Camarade Zinoviev répondent effectivement : " la crise économique mondiale devient plus aiguë, le chômage s'accroît, le capital passe à l'offensive et manœuvre avec adresse; le niveau de vie du prolétariat est compromis " . Ainsi une guerre est inévitable. Il en découle que la classe ouvrière se dirige plus à gauche. Les illusions réformistes se détruisent. La large base ouvrière commence maintenant à apprécier le courage de l'avant-garde communiste... et de ce fait... on doit constituer le front unique avec Scheidemann. Diable! La conclusion n'est pas cohérente avec la prémisse.

Nous ne serions pas objectifs si nous ne rapportions pas encore quelques considérations fondamentales que le camarade Zinoviev avance pour défendre, dans sa thèse, le front unique. Le camarade Zinoviev fait une merveilleuse découverte : " On sait que la classe ouvrière lutte pour l'unité. Et comment y arriver sinon à travers un front unique avec Scheidemann? " . Tout ouvrier conscient qui n'est pas étranger aux intérêts de sa classe et de la révolution mondiale peut se demander : la classe ouvrière a-t-elle commencé à lutter pour l'unité seulement au moment où on affirme la nécessité du " front unique " ? Quiconque a vécu parmi les travailleurs, depuis que la classe ouvrière est entrée dans le champ de la lutte politique, connaît les doutes qui assaillent tout ouvrier : pourquoi les mencheviks, les socialistes-révolutionnaires, les bolcheviks, les trudoviki (populistes) luttent-ils donc entre eux? Tous désirent le bien du peuple. Et alors pour quels motifs se combattent-ils? Tout ouvrier a ces doutes mais alors, quelle conclusion doit-on en tirer? La classe ouvrière doit s'organiser en classe indépendante et s'opposer à toutes les autres. Nos préjugés petits-bourgeois doivent être surmontés! Telle était alors la vérité et telle elle le demeure aujourd'hui.

Dans tous les pays capitalistes où se présente une situation favorable à la révolution socialiste, nous devons préparer la classe ouvrière à la lutte contre le menchevisme internationale et les socialistes-révolutionnaires. Dans ce cas, certainement, on devra prendre en considération les expériences de la révolution russe. La classe ouvrière mondiale doit s'enfoncer cette idée dans la tête que les socialistes de la IIe Internationale et de l'Internationale deux et demi sont et seront à la tête de la contre-révolution. La propagande du front unique avec les social-traîtres de toutes les nuances tend à faire croire qu'eux aussi combattent en définitive la bourgeoisie, pour le socialisme et non le contraire. Mais seule la propagande ouverte, courageuse, en faveur de la guerre civile et de la conquête du pouvoir politique de la part de la classe ouvrière peut intéresser le prolétariat à la révolution.

L'époque où la classe ouvrière pouvait améliorer sa propre condition matérielle et juridique à travers les grèves et l'entrée au parlement est définitivement passée. On doit le dire ouvertement. La lutte pour les objectifs les plus immédiats est une lutte pour le pouvoir. Nous devons démontrer à travers notre propagande que, bien que nous ayons en diverses occasions incité à la grève, nous n'avons pu réellement améliorer notre condition d'ouvriers, mais vous, travailleurs, vous n'avez pas encore dépassé la vieille illusion réformiste et conduisez une lutte qui vous affaiblit vous-mêmes. Nous pourrons bien être solidaires de vous dans les grèves, mais nous reviendrons toujours vous dire que ces mouvements ne vous libéreront pas de l'esclavage, de l'exploitation et de la morsure du besoin inassouvi. L'unique voie qui vous conduise à la victoire est la prise du pouvoir par vos mains calleuses.


La question du front unique dans le pays où le prolétariat est au pouvoir
(démocratie ouvrière)


Ni les thèses, ni les discussions advenues dans les congrès de l'Internationale communiste n'abordèrent la question du front unique dans les pays qui ont accompli la révolution socialiste et dans lesquels la classe ouvrière exerce la dictature. Cela est dû au rôle que le parti communiste russe assume dans l'Internationale et dans la politique interne de la Russie.

La particularité de la question du " front unique " dans de tels pays tient au fait qu'elle est résolue de façons diverses au cours des différentes phases du procès révolutionnaire : dans la période de répression de la résistance des exploiteurs et de leurs complices une certaine solution est valable, une autre s'impose au contraire quand les exploiteurs sont déjà battus et le prolétariat a progressé dans la construction de l'ordre socialiste, même avec l'aide de la N.E.P. et les armes à la main.

Le front unique dans la Russie prolétarienne doit être aussi démocratie prolétarienne. Pour nous il n'existe aucune véritable démocratie, aucune liberté absolue en tant que fétiche ou idole, et même aucune véritable démocratie prolétarienne. La réalisation du principe de la démocratie prolétarienne doit correspondre aux tâches fondamentales du moment.

Après la résolution des tâches politico-militaires (prise du pouvoir et répression de la résistance des exploiteurs), le prolétariat a été amené à résoudre la tâche la plus difficile et importante : la question économique de la transformation des vieux rapports capitalistes en nouveaux rapports socialistes. C'est seulement après l'accomplissement d'une telle tâche qu'un prolétariat peut se considérer vainqueur, autrement tout aura été vain encore une fois, et le sang et les morts serviront seulement de fumier à la terre sur laquelle continuera à s'élever l'édifice de l'exploitation et de l'oppression, la domination bourgeoise.

Pour accomplir cette tâche il est absolument nécessaire que le prolétariat participe réellement à la gestion de l'économie. " Qui se trouve au sommet de la production se trouve également au sommet de la 'société' et de 'l'État' " .

Il est donc nécessaire :


Il est nécessaire en outre que l'influence du prolétariat soit renforcée sur d'autres plans. Les syndicats, qui doivent être une véritable organisation prolétarienne de classe, doivent en tant que tels se constituer en organes de contrôle ayant le droit et les moyens pour l'inspection ouvrière et paysanne. Les comités d'usines et d'entreprises effectuent une fonction de contrôle dans les usines et les entreprises. Les sections dirigeantes des syndicats qui sont unies dans l'Union dirigeante centrale contrôlent les directions tandis que les directions des syndicats réunies dans une Union centrale panrusse, sont les organes de contrôle au centre.

Mais les syndicats accomplissent aujourd'hui une fonction qui ne leur revient pas dans l'état prolétarien, ce qui fait obstacle à leur influence et contraste avec le sens de leurs positions au sein du mouvement international.

Celui qui a peur devant un tel rôle des syndicats témoigne de sa peur devant le prolétariat et perd tout lien avec lui. Il existe simplement une classe ouvrière dans laquelle nous pouvons trouver des bolcheviks, des anarchistes, des socialistes-révolutionnaires et d'autres (qui n'appartiennent pas à ces partis mais tirent d'eux leurs orientations). Comment doit-on entrer en rapport avec elle? Avec les " cadets " démocrates constitutionnels) bourgeois : professeurs, avocats, docteurs, aucune négociation; pour eux, un seul remède : le bâton. Mais avec la classe ouvrière c'est une toute autre chose. Nous ne devons pas l'intimider, mais l'influencer et la guider intellectuellement. Pour cela aucune violence, mais la clarification de notre ligne de conduite, de notre loi.

Oui, la loi est la loi, mais pas pour tous. À la dernière conférence du parti, lors de la discussion sur la lutte contre l'idéologie bourgeoise, il apparut qu'à Moscou et à Pétrograd on compte jusqu'à 180 maisons d'édition bourgeoises contre lesquelles, selon les déclarations de Zinoviev, on entend combattre à 90 % non avec des mesures répressives mais à l'aide d'une influence ouvertement idéologique. Mais en ce qui nous concerne comment veut-on nous " influencer " ? Zinoviev sait comment on a cherché à influencer certains d'entre nous. Si on nous concédait au moins la dixième partie de la liberté dont jouit la bourgeoisie! Qu'en pensez-vous, camarades ouvriers? Ce ne serait pas mal du tout, n'est ce pas?

Si vous camarades communistes convaincus, voulez combattre à visage ouvert la bourgeoisie, c'est bien; mais notre malheur réside dans le fait que quand nous nous levons d'un coup contre la bourgeoisie on nous rompt les os, à nous prolétaires, et nous vomissons du sang.

Qu'il nous soit permis de poser une question : comment voulez-vous résoudre la grande tâche de l'organisation de l'économie sociale sans le prolétariat? Ou bien voulez-vous la résoudre avec un prolétariat qui dise oui et amen chaque fois que le veulent ses bons pasteurs? En avez-vous besoin?

" Toi, ouvrier et toi paysan, reste tranquille, ne proteste pas, ne raisonne pas parce que nous avons de braves types, qui sont aussi des ouvriers et des paysans à qui nous avons confié le pouvoir et qui l'utilisent d'une façon telle que vous ne vous rendrez même pas compte que vous êtes soudainement arrivés dans le paradis socialiste " . Parler ainsi signifie avoir foi dans les individus, dans les héros, non pas dans la classe, parce que cette masse grise aux idéaux médiocres (du moins le pensent les chefs) n'est rien de plus qu'un matériau avec lequel nos héros, les fonctionnaires communistes, construiront le paradis communiste. Nous ne croyons pas aux héros et faisons appel à tous les prolétaires afin qu'ils n'y croient pas. La libération des travailleurs sera seulement l'œuvre des travailleurs eux-mêmes.

Oui, nous, prolétaires, nous sommes épuisés, affamés, nous avons froid et nous sommes las. Mais les problèmes que nous avons devant nous, aucune classe, aucun groupe du peuple ne peut les résoudre pour nous. Nous devons le faire nous-mêmes. Si vous pouvez nous démontrer que les tâches qui nous attendent, nous ouvriers, peuvent être accomplies par une Intelligence, même si c'est une intelligence communiste, alors nous serons d'accord pour lui confier notre destin de prolétaires. Mais personne ne peut nous démontrer cela. Pour cette raison il n'est pas du tout juste de soutenir que le prolétariat est fatigué et n'a pas besoin de savoir ni de décider quoi que ce soit.


La N.E.P. (Nouvelle politique économique)


La N.E.P. est le résultat direct de la situation des forces productives dans notre pays. Elle devait être utilisée pour la consolidation des positions que le prolétariat conquit en Octobre. Si la révolution avait éclaté dans un des pays à capitalisme avancé cela aurait eu une influence sur la durée et sur le rapide développement de la N.E.P. Le triomphe de la N.E.P. en Russie est lié à la rapide mécanisation du pays, à la victoire des tracteurs sur les charrues en bois. Sur ces bases de développement des forces productives s'institue un nouveau rapport réciproque entre les villes et les campagnes. Compter sur l'importation de machines étrangères pour les besoins de l'économie agricole n'est pas juste. Ceci est politiquement et économiquement nocif dans la mesure où cela lie notre économie agricole au capital étranger et affaiblit l'industrie russe. Le 10 novembre 1920, la Pravda, sous le titre " entreprise gigantesque " , rapportait la nouvelle de la constitution de la " société internationale de secours pour la renaissance de l'industrie dans l'Oural " . De très importants trusts d'État et le " Secours ouvrier international " contrôlent cette société qui dispose déjà maintenant d'un capital de deux millions de roubles-or et est entrée en rapport d'affaires avec l'entreprise américaine " Keith " en acquérant une grande quantité de tracteurs, affaire évidemment jugée avantageuse.

La participation du capital étranger est nécessaire, mais dans quel domaine? Nous voulons, ici, soumettre à tous les questions suivantes : si le " Secours ouvrier international " peut nous aider grâce à ses rapports avec l'entreprise " Keith " , pourquoi ne peut-il pas, avec une quelconque autre entreprise, organiser chez nous, en Russie la production des machines qui nous sont nécessaires pour l'agriculture? Ne serait-il pas préférable d'employer les deux millions de roubles-or que la société possède dans la production de tracteurs, ici, chez nous? A-t-on justement envisagé toutes les possibilités? Est-il réellement nécessaire d'enrichir de notre or l'entreprise " Keith " et de lier à elle le sort de notre économie agricole?

La production des machines est possible en Russie même; elle renforcera l'industrie, fusionnera organiquement la campagne et la ville, effacera les différences matérielles et idéologiques entre l'une et l'autre, accroîtra leurs liens, ce qui rendra possible l'abandon de la N.E.P.

La nouvelle politique économique cache en elle des dangers pour le prolétariat. Nous ne devons pas seulement montrer que la révolution sait affronter un examen pratique sur le plan de l'économie et que les formes économiques socialistes sont en fait meilleurs que celles capitalistes, mais nous devons aussi affirmer notre position socialiste sans engendrer une caste oligarchique qui détienne le pouvoir économique et politique en craignant par-dessus tout la classe ouvrière. Pour prévenir le procès de dégénérescence de la nouvelle politique économique en une nouvelle politique d'exploitation du prolétariat, il est nécessaire de conduire le prolétariat vers l'accomplissement des grandes tâches qui sont devant lui moyennant une cohérence réalisation des principes de la démocratie prolétarienne, ce qui donnera le moyen à la classe ouvrière de défendre les conquêtes de la Révolution d'Octobre contre tous les périls de quelque endroit qu'ils viennent. Le régime interne du parti et les rapports du parti avec le prolétariat doivent être radicalement changés en ce sens.


Contre la politicaillerie de la N.E.P.


Le plus grand péril lié à la nouvelle politique économique réside dans le fait que le niveau de vie d'une très grande partie des cadres dirigeants a commencé à changer rapidement. Quand une telle situation arrive au point où les membres de l'administration de certains trusts, par exemple le trust de sucre, reçoivent un salaire mensuel de 200 roubles-or, jouissent gratuitement ou pour un prix modique d'un bel appartement, possèdent une automobile pour leurs déplacements et ont tant d'autres possibilités pour satisfaire les nécessités de la vie à un prix moindre que celui payé par les ouvriers adonnés à la culture de la betterave à sucre, et alors que ces mêmes ouvriers, bien qu'ils soient communistes, outre les modestes rations alimentaires qui leurs sont accordées par l'État, reçoivent seulement 4 ou 5 roubles par mois en moyenne (et avec ce salaire ils doivent également payer le loyer et l'éclairage), il est bien visible qu'on maintient vraiment une différence profonde dans le mode de vie des uns et des autres. Si cet état de chose ne change pas au plus vite mais exerce son influence dix ou vingt ans encore, la condition économique des uns comme des autres déterminera leur conscience et ils se heurteront en deux camps opposés. Nous devons considérer que, si les postes dirigeants, souvent renouvelés, sont occupés par des personnes de très basse extraction sociale, il s'agit dans tous les cas d'éléments nullement prolétariens. Ils forment une très mince couche sociale. Influencés par leur condition ils se considèrent les seuls aptes à certaines tâches réservées, les seuls capables de transformer l'économie du pays, de satisfaire le programme revendicatif de la dictature du prolétariat, des conseils d'usine, des délégués ouvriers, à l'aide du verset : " Ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal " .

Ils considèrent en réalité ces revendications comme des expressions de l'influence des éléments petits-bourgeois des forces contre-révolutionnaires. Donc, ici, sans aucun doute un danger menace les conquêtes du prolétariat et il vient d'un côté où l'on pouvait s'y attendre le moins. Pour nous le danger est que le pouvoir prolétarien dégénère en hégémonie d'un groupe puissant décidé à tenir dans ses propres mains le pouvoir politique et économique, naturellement sous le voile de très nobles intentions, " dans l'intérêt du prolétariat, de la révolution mondiale et d'autres idéaux très élevés " . Oui, il existe vraiment le danger d'une dégénérescence oligarchique. Malheureusement la majorité des chefs du PCR ne pense pas de la même façon. À toutes les questions sur la démocratie ouvrière, Lénine, dans un discours prononcé au IXe congrès panrusse des soviets, répondit ainsi : " À tout syndicat qui pose, en général, la question de savoir si les syndicats doivent participer à la production je dirai : mais cessez donc de bavarder (applaudissements), répondez-moi plutôt pratiquement et dites-moi (si vous occupez un poste responsable, si vous avez de l'autorité, si vous êtes un militant du parti communiste ou d'un syndicat) : où avez-vous bien organisé la production, en combien d'années, combien de personnes vous sont subordonnées, un millier ou une dizaine de milliers? Donnez-moi la liste de ceux à qui vous confiez un travail économique que vous avez mené à bonne fin, au lieu de vous attaquer à vingt affaires à la fois pour ne faire aboutir aucune d'elles, faute de temps. Chez nous, avec nos mœurs soviétiques, ce n'est pas toujours qu'on mène une affaire à bonne fin, qu'on peut parler d'un succès durant quelques années; on craint de s'instruire auprès du marchand qui empoche 100 % de bénéfices et plus encore, on préfère écrire une belle résolution sur les matières premières et se targuer du titre de représentants du parti communiste, d'un syndicat, du prolétariat. Je vous demande bien pardon. Qu'est-ce qu'on appelle prolétariat? C'est la classe qui travaille dans la grande industrie. Mais où est-elle, la grande industrie? Quel est donc ce prolétariat? Quelle est votre industrie? Pourquoi est-elle paralysée? Parce qu'il n'y a plus de matières premières? Est-ce que vous avez su vous en procurer? Non. Vous écrirez une résolution ordonnant de les collecter, et vous serez dans le pétrin; et les gens diront que c'est absurde; donc vous ressemblez à ces oies dont les ancêtres ont sauvé Rome " , et qui, pour continuer le discours de Lénine (selon la morale de la fable bien connue de Krylov) doivent être guidées avec une longue baguette au marché pour y être vendues.

On ne peut pas parler à la façon de Lénine de la démocratie prolétarienne et de la participation du prolétariat à l'économie populaire! La très grande découverte faite par le camarade Lénine est que nous n'avons plus de prolétariat. Nous nous réjouissons avec toi, camarade Lénine! Tu es donc le chef d'un prolétariat qui n'existe même pas! Tu es le chef du gouvernement d'une dictature prolétarienne sans prolétariat! Tu es le chef du parti communiste mais non du prolétariat!

Au contraire du camarade Lénine, son collègue du comité central et du bureau politique Kamenev a une toute autre opinion. Il voit le prolétariat partout. Il le voit chez tous les fonctionnaires qui depuis Moscou se sont installés par voie bureaucratique et lui-même est, selon sa propre opinion, encore plus prolétaire que n'importe quel ouvrier. Il ne dit pas, en parlant du prolétariat : " LUI, le prolétariat... " mais " NOUS, le prolétariat... " . Trop de prolétaires du type de Kamenev participent à la gestion de l'économie populaire; c'est pourquoi il arrive que de semblables prolétaires tiennent d'étranges discours sur la démocratie prolétarienne et sur la participation du prolétariat à la gestion économique! " Permettez s'il vous plaît, dit Kamenev, de quoi parlez-vous? Ne sommes-nous pas le prolétariat, un prolétariat organisé en tant qu'unité compacte, en tant que classe? " .

Le camarade Lénine considère tout discours sur la participation du prolétariat à la gestion de l'économie populaire comme un bavardage inutile parce qu'il n'y a pas de prolétariat; Kamenev est du même avis, mais parce que le prolétariat " en tant qu'unité compacte, en tant que classe " gouverne déjà le pays et l'économie, dans la mesure où tous les bureaucrates sont considérés par lui comme prolétaires. Eux, naturellement, se mettent d'accord et, déjà sur quelques points, ils s'entendent particulièrement bien, parce que depuis la révolution d'Octobre Kamenev a pris l'engagement de ne pas prendre position contre le camarade Lénine, de ne pas le contredire. Ils se mettront d'accord sur le fait que le prolétariat existe ö naturellement pas seulement celui de Kamenev ö mais aussi sur le fait que son bas niveau de préparation, sa condition matérielle, son ignorance politique imposent " que les oies soient tenues loin de l'économie avec une longue baguette " . Et en réalité cela se produit ainsi!

Le camarade Lénine a appliqué ici la fable de façon plutôt impropre. Les oies de Krylov crient que leurs ancêtres sauvèrent Rome (leurs ancêtres, camarade Lénine) tandis que la classe ouvrière ne parle pas de ses ancêtres, mais d'elle-même, parce qu'elle (la classe ouvrière, camarade Lénine) a accompli la révolution sociale et de ce fait elle veut diriger elle-même le pays et son économie! Mais le camarade Lénine a pris la classe ouvrière pour les oies de Krylov et, en la poussant avec sa baguette, il lui dit : Laissez vos aïeux en paix! Vous, au contraire, qu'avez-vous fait? " . Que peut répondre le prolétariat au camarade Lénine?

On peut tranquillement nous menacer avec une baguette et cependant nous déclarerons à haute voix que la réalisation cohérente et sans hésitation de la démocratie prolétarienne est aujourd'hui une nécessité que la classe prolétarienne russe ressent jusqu'à la moelle. Depuis le IXe congrès du PCR (bolchevik) l'organisation de la gestion de l'économie est réalisée sans participation directe de la classe ouvrière, à l'aide de nominations purement bureaucratiques. Les trusts sont constitués suivant le même système adopté pour la gestion de l'économie et la fusion des entreprises. La classe ouvrière ne sait pas pourquoi tel ou tel directeur a été nommé, ni pour quel motif une usine appartient à ce trust plutôt qu'à un autre. Grâce à la politique du groupe dirigeant du PCR, elle n'a aucune part à ces décisions. L'ouvrier se pose la question : comment a-t-il pu se faire que son soviet, le soviet qu'il avait lui-même institué et auquel ni Marx, ni Engels, ni Lénine ni aucun autre n'avaient pensé, comment se fait-il que ce soviet soit mort? Et d'inquiètes pensées le poursuivent...

En 1905, quand personne encore dans le pays ne parlait de conseils ouvriers et que, dans les livres, il était question seulement de partis, d'associations, de ligues, la classe ouvrière russe réalisa les soviets dans les usines. Les conseils ouvriers se présentent en 1917 comme guides de la révolution, non seulement dans la substance mais aussi formellement : soldats, paysans, cosaques se subordonnent à la forme organisationnelle du prolétariat.

La guerre civile que les exploiteurs entreprirent, avec les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks, contre le prolétariat au pouvoir, prit un caractère si intense et si âpre qu'elle engagea à fond la classe ouvrière entière; c'est pourquoi les ouvriers furent distraits soit des problèmes du pouvoir des soviets, soit des problèmes de la production pour lesquels ils s'étaient battus. Ils pensaient : nous gérerons plus tard la production. Pour reconquérir la production il faut tout d'abord l'arracher aux exploiteurs rebelles. Et ils avaient raison. Le sort de toutes les conquêtes du prolétariat est étroitement lié au fait de réussir à s'emparer de la production et de l'organiser. Si le prolétariat ne réussit pas à se mettre à la tête de la production et à mettre sous son influence toute la masse petite-bourgeoise des paysans, des artisans et des intellectuels corporatistes, tout sera à nouveau perdu. On ne doit pas parler d'une amélioration des Soviets, mais de leur réorganisation. Ces nouveaux Soviets s'ils se portent au sommet dirigeant de la production, de la gestion des usines, seront non seulement capables d'appeler les masses les plus vastes de prolétaires ou semi-prolétaires à la solution des problèmes qui se posent à eux, mais ils emploieront aussi directement dans la production tout l'appareil étatique, non en paroles mais en fait. Quand, ensuite, le prolétariat aura organisé pour la gestion des entreprises et des industries les Soviets comme cellules fondamentales du pouvoir étatique il ne pourra y rester inactif : il passera à l'organisation des trusts, des syndicats et des organes directeurs centraux, y compris les fameux soviets suprêmes pour l'économie populaire, et donnera un nouveau contenu au travail du comité exécutif central panrusse. Les Soviets destineront tous les membres du comité central panrusse des soviets qui combattirent sur les fronts de la guerre civile au travail sur le front de l'économie. Naturellement tous les bureaucrates, tous les économistes qui se considèrent les sauveurs du prolétariat (dont ils craignent par-dessus tout la parole et le jugement) de même que tous les gens qui occupent des postes douillets dans les divers organismes, lanceront de hauts cris. Ils soutiendront que ce qui précède signifie l'écroulement de la production, la banqueroute de la révolution sociale, parce que beaucoup savent qu'ils doivent leur poste non à leurs capacités, mais à la protection, aux connaissances, aux " bonnes relations " , en aucun cas à la confiance du prolétariat, au nom duquel ils administrent. Du reste, ils ont plus peur du prolétariat que des spécialistes, des nouveaux dirigeants d'entreprise et des Slastchovs.

La comédie panrusse avec ses directeurs rouges est orchestrée de façon à pousser le prolétariat à sanctionner la gestion bureaucratique de l'économie et à bénir la bureaucratie; c'est une comédie également parce que les noms des directeurs de trusts, fortement protégés, n'apparaissent jamais dans la presse en dépit de leur ardent désir de réclame. Toutes nos tentatives pour démasquer un provocateur qui, il n'y a pas si longtemps, recevait de la police tsariste 80 roubles ö le salaire le plus élevé pour ce genre d'activité ö et qui se trouve maintenant à la tête du trust du caoutchouc, ont rencontré une résistance insurmontable. Nous voulons parler du provocateur tsariste Lechava-Murat (le frère du Commissaire du peuple pour le commerce intérieur, NDR). Ceci éclaire à suffisance le caractère du groupe qui avait imaginé la campagne pour les directeurs rouges.

Le Comité exécutif central panrusse des soviets qui est élu pour un an et se réunit pour des conférences périodiques constitue le germe de la pourriture parlementaire. Et on dit : camarades si on vient, par exemple, à une réunion où les camarades Trotsky, Zinoviev, Kamenev, Boukharine parlent une paire d'heures sur la situation économique, que peut-on faire d'autre, sinon s'abstenir ou approuver rapidement la résolution proposée par le rapporteur? étant donné que le Comité central panrusse ne s'occupe pas d'économie, il écoute de temps en temps quelques leçons sur ce sujet pour se dissoudre ensuite et chacun s'en va de son côté. Il est même arrivé le fait curieux qu'un projet présenté par les commissaires du peuple fût approuvé sans qu'il n'en ait été fait au préalable une lecture. Dans quel but le lire auparavant? On ne peut pas être, certes, plus instruit que le camarade Kurski (commissaire à la justice). On a transformé le Comité exécutif panrusse en un instrument pour la ratification des actes. Et son président? Il est, avec votre permission, l'organe suprême; mais au égard aux tâches qui s'imposent au prolétariat, il est occupé à des broutilles. Il nous semble au contraire que le comité exécutif central panrusse des soviets devrait plus que tout autre être lié aux masses, et ce suprême organe législatif devrait décider sur les questions les plus importantes de notre économie.

Notre conseil des commissaires du peuple est, selon l'avis même de son chef, le camarade Lénine, un véritable appareil bureaucratique. Mais il voit les racines du mal dans le fait que les gens qui participent à l'inspection ouvrière et paysanne sont corrompus et il propose simplement de changer les hommes occupent les postes dirigeants; après quoi tout ira mieux. Nous avons ici sous les yeux l'article du camarade Lénine paru dans La Pravda du 15 janvier 1923 : c'est un bel exemple de " politicaillerie " . Les meilleurs parmi les camarades dirigeants affrontent en réalité cette question en tant que bureaucrates puisqu'ils voient le mal dans le fait que ce soit Tsiurupa (Rinz) et non Soltz (Kunz) qui préside l'inspection ouvrière et paysanne. Il nous vient à l'esprit le dit d'une fable : " Bien que vous vous y forciez, vous ne pouvez pas devenir musiciens " . Ils se sont corrompus sous l'influence du milieu; le milieu les a rendus bureaucrates. Que l'on change le milieu et ces gens travailleront bien.


La question nationale


L'influence pernicieuse de la politique du groupe dirigeant du PCR se révéla particulièrement sur le plan de la question nationale. À toute critique et à toute protestation : des proscriptions sans fin ( " division méthodique du parti ouvrier " ); nominations qui parfois ont un caractère autocratique (personnes impopulaires qui n'ont pas la confiance des camarades locaux du parti); ordres donnés aux républiques (aux populations demeurées pour des décennies et des siècles sous le joug ininterrompu des Romanov personnifiant la domination de la nation grand-russe) tels qu'ils sont aptes à donner une nouvelle vigueur aux tendances chauvines dans les larges masses travailleuses, pénétrant même dans les organisations nationales du parti communiste.

La révolution russe, dans ces républiques soviétiques, fut indubitablement accomplie par les forces locales, par le prolétariat local avec l'appui actif des paysans. Et si tel ou tel parti communiste national développa un travail nécessaire et important, celui-ci consista seulement dans un appui aux organisations locales du prolétariat contre la bourgeoisie locale et ses soutiens. Mais une fois accomplie la révolution, la praxis du parti, du groupe dirigeant du PCR, inspirée par la défiance vis-à-vis des revendications locales, ignore les expériences locales et impose aux partis communistes nationaux divers contrôleurs, souvent de nationalité différente, ce qui exaspère les tendances chauvines et donne aux masses ouvrières l'impression que ces territoires sont soumis à un régime d'occupation. La réalisation des principes de la démocratie prolétarienne, avec l'institution des organisations locales étatiques et de parti, éliminera dans toute nationalité les racines de la différence entre ouvriers et paysans. Réaliser ce " front unique " dans les républiques qui ont accompli la révolution socialiste, réaliser la démocratie prolétarienne, signifie instituer l'organisation nationale avec des partis communistes ayant dans l'Internationale les mêmes droits que le PCR et constituant une section particulière de l'Internationale. Mais puisque toutes les républiques socialistes ont certaines tâches communes et que le parti communiste développe dans toutes un rôle dirigeant, on doit convoquer ö pour les discussions et les décisions sur les problèmes communs à toutes les nationalités de l'Union des républiques socialistes soviétiques ö de périodiques congrès généraux de parti qui élisent, en vue d'une activité stable, un exécutif des partis communistes de l'URSS. Une telle structure organisationnelle des partis communistes de l'URSS peut déraciner et déracinera indubitablement la méfiance au sein du prolétariat et elle présentera en outre une énorme importance pour l'agitation du mouvement communiste dans tous les pays.


À propos du Parti communiste russe


À partir du moment où le PCR organisa le prolétariat en vue de l'insurrection et la prise du pouvoir à partir de ce moment là il devint un parti de gouvernement et fut, durant la rude guerre civile, la seule force capable d'affronter les restes du régime absolutiste et agraire, les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks. Durant ces trois années de lutte, les organes dirigeants du parti ont assimilé des méthodes de travail adaptées à une guerre civile terrible qu'ils étendent maintenant à une phase toute nouvelle de la révolution sociale et dans laquelle le prolétariat pose des revendications tout à fait différentes.

De cette contradiction fondamentale découlent toutes les déficiences du parti et du mécanisme des soviets. Ces déficiences sont si graves qu'elles menacent d'annuler tout ce que le travail du PCR a produit de bon et d'utile. Mais plus encore elles risquent d'anéantir ce parti en tant que parti d'avant-garde de l'armée prolétarienne internationale; elles menacent ö à cause des rapports actuels avec la N.E.P. ö de transformer le parti en une minorité de détenteurs du pouvoir et des ressources économiques du pays, qui s'entendront pour s'ériger en une caste bureaucratique.

On ne peut plus soutenir aujourd'hui qu'il soit vraiment nécessaire que le régime interne du parti continue à appliquer la méthode valable au temps de la guerre civile. C'est pourquoi, pour défendre les buts du parti, il faut s'efforcer ö même si c'est à contrecœur ö d'utiliser des méthodes qui ne sont pas celle du parti.

Dans la situation actuelle, il est objectivement indispensable de constituer un Groupe Ouvrier Communiste, qui ne soit pas lié organisationnellement au PCR; mais qui en reconnaisse pleinement le programme et les statuts.

Un tel groupe est en train de se développer nonobstant l'opposition obstinée du parti dominant, de la bureaucratie des soviets et des syndicats. La tâche de ce groupe consistera à exercer une influence décisive sur la tactique du PCR, en conquérant la sympathie de larges masses prolétariennes, de façon telle qu'elle contraigne le parti à abandonner sa ligne directrice.


Conclusion


Sur le terrain de l'insatisfaction profonde de la classe ouvrière, divers groupes se forment qui se proposent d'organiser le prolétariat. Deux courants : la plate-forme des libéraux du Centralisme démocratique et celle de " Vérité ouvrière " témoignent, d'un côté, d'un manque de clarté politique, de l'autre, de l'effort de recherche de la classe ouvrière. La classe ouvrière cherche une forme d'expression à son insatisfaction. L'un et l'autre groupes, auxquels appartiennent très probablement des éléments prolétariens honnêtes, jugeant insatisfaisante la situation actuelle, vont vers des conclusions erronées (de type menchevik).

Il persiste dans le parti un régime qui est nocif aux rapports du parti avec, la classe prolétarienne et qui, pour le moment ne permet pas de soulever des questions qui soient, d'une quelconque façon, gênantes pour le groupe dirigeant les PCR . De là est venue la nécessité de constituer le Groupe ouvrier du PCR sur base du programme et des statuts du PCR, afin d'exercer une pression décisive sur le groupe dirigeant du parti lui-même.

Nous faisons appel à tous les éléments prolétariens authentiques (également à ceux du " Centralisme démocratique); et de " Vérité ouvrière " , d' " Opposition ouvrière " et à ceux qui se trouvent à l'extérieur aussi bien qu'à l'intérieur du parti) afin qu'ils s'unissent sur base du Manifeste du Groupe ouvrier du PCR.

Plus vite ils reconnaîtront la nécessité de s'organiser, moindres seront les difficultés que tous nous devrons surmonter.


Moscou, février 1923.
Le Bureau central provisoire d'organisation du Groupe ouvrier du PCR .



Gavril Ilitch Miasnikov